Empêtré dans la grisaille de son quotidien, l’adulte atrophie le monde qui l’entoure. Peu enclin aux rêves et à la fantaisie, les couleurs sont pour lui uniquement celles de la réalité : « Mais les feuilles des arbres sont vertes, Hippo. La mer est bleue et le soleil jaune ». Mais le petit Hyppolite est loin d’être un ahuri. Il a parfaitement observé que les visages de Fatou et de Firmin sont noirs, ceux des jumelles Chan et Cui, jaunes, et ceux d’Abdallah et Antar, café au lait. Aussi ignore-t-il cette remarque condescendante de Jérôme, l’animateur du service de l’Enfance de la Ville, tout en faisant preuve d’une empathie profonde et clairvoyante à son égard. Après tout, ce dernier vit seul, une vie sans couleur, au douzième étage d’un immeuble, tout au fond d’un couloir, avec un chien pas à lui qui pisse sur son paillasson. L’existence d’Hyppolite n’a pourtant rien d’un conte de fées : sa mère est partie avec le père de son meilleur ami, il s’acquitte de tous les devoirs domestiques que son propre père, noyé dans le chagrin et la bière, n’est depuis longtemps plus en mesure d’assumer : « A chaque fois, je bondis hors de mon lit, je lui prépare son café, un peu grognon d’être debout, les cheveux coiffés par le vent du sommeil. Je prends un sac plastique et j’y mets toutes les canettes mortes et le contenu de son cendrier qui déborde de partout ». Pas étonnant qu’il s’endorme en classe et se retrouve chez le directeur.