Voilà bientôt vingt ans qu’Abdellah Taïa publie des livres. Patiemment, il construit une œuvre forte, cohérente, qui tourne toute entière autour de la question de la rencontre du monde arabe et de l’Occident, de leur histoire réciproque, de leur avenir incertain. Partant d’un « je », de son « je », celui d’un homosexuel marocain ayant grandi dans le quartier pauvre de Hay Salam, à Salé, à côté de Rabat, Abdellah Taïa mène son œuvre vers un « nous », donnant la parole à tous les exclus, à ceux que la société méprise et bâillonne, où qu’ils soient, d’où qu’ils viennent.
Dans La Vie lente, son nouveau livre, cette rencontre s’incarne à travers les deux personnages principaux que sont Mounir Rochdi, marocain homosexuel de quarante ans, et Madame Marty, une octogénaire vivant seule dans le Paris post attentats de 2015. Lui, il a quitté son pays dans lequel, adolescent, il avait été « persécuté par des hommes hétérosexuels affamés de sexe », et a obtenu en France « un doctorat sur Fragonard et le roman libertin au XVIIIe siècle ». Elle, c’est une « pauvre française qui survit depuis les années 1970 dans un studio de 14 mètres carrés ». Plus jeune elle avait travaillé pour une famille bourgeoise du 7e arrondissement puis avait préféré rester à Paris plutôt que d’aller s’enterrer en Ardèche avec son mari et son fils. Elle s’était ensuite installée à Barbès où vivent les gens pauvres.