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Les Livres

La Chaise vide, Thierry Martin-Scherrer (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 03 Juillet 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

La Chaise vide, Thierry Martin-Scherrer - Le Taillis Pré, avril 2025, 120 pages, 18 €

 

Un peu plus de dix ans après la mort de son frère jumeau, l'auteur (à présent septuagénaire) tente, pour la première fois, de penser ce que la vie de ce frère aura fait de la sienne. Non pas seulement changé de la sienne, mais bien :  fait d'elle, car la conduite et le maintien de ce frère disparu auront, par sa mutique supériorité et sa dédaigneuse indépendance, construit négativement, conditionné par défaut, toute la sienne. L'auteur aura ainsi dû et bien voulu ménager son jumeau toute sa vie, et le regrette, bien qu'en un sens la mort plutôt prématurée de celui-ci donne en retour raison à ces soins ou ce souci excessifs - comme si l'auteur avait tôt compris son jumeau plus mortel que lui-même, et compensé sa présumée inespérance de vie par le dédommagement préventif d'une sollicitude insistante, inquiète et maladroite. Quoi qu'il en soit, le disparu se sera "retiré sans avoir abattu son jeu" (p.87).

La mémoire délavée, Nathacha Appanah (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Mercredi, 02 Juillet 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Mercure de France

La mémoire délavée, Nathacha Appanah, Mercure de France, collection Folio, 6 février 2025, 150 pages, 7,60 € . Ecrivain(s): Nathacha Appanah Edition: Mercure de France

 

La République de Maurice se qualifie de « nation arc-en-ciel » en référence à la pluralité, à la diversité des composantes de sa population, officiellement classée en quatre catégories de citoyens : les Sino-Mauriciens, les Musulmans, la Population Générale (dont les Cafres descendants des esclaves africains et les Franco-Mauriciens issus des colons), et les Indo-Mauriciens, catégorie à laquelle appartient Nathacha Appanah, journaliste et  romancière bien installée dans le paysage littéraire francophone.

C’est à l’occasion de l’observation des complexes, inextricables, inexplicables circonvolutions du vol migratoire d’une nuée d’étourneaux que l’autrice est saisie par la résurgence de la blessure plus ou moins refoulée, néanmoins toujours latente, de l’angoissante présence de larges zones d’ombre contrastant avec des bribes ténues, fragiles, de rares faits connus dans la chaîne nébuleuse de la migration familiale dont elle constitue l’un des maillons actuels.

Premier jour, Morgane de Cadier (par Yasmina Mahdi)

, le Mardi, 01 Juillet 2025. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Grasset, Jeunesse

Premier jour, Morgane de Cadier, éd. Grasset-Jeunesse, 32 p., 2025, 15,50 € Edition: Grasset

 

Le premier jour d’un nouveau-né extraordinaire, rose fuchsia, à l’origine inconnue (un extraterrestre ?) a lieu, ici, au sein de la nature. Et c’est dans les bois que ce petit bonhomme va découvrir les arbres, la terre, les herbes, l’eau, le ciel, par chacun de ses sens. Morgane de Cadier (formée au dessin académique à l'École Emile Cohl de Lyon), autrice et illustratrice, signe ce très bel album, sélectionné pour la révélation Livre Jeunesse ADAGP 2025. Ce livre pose le problème du réveil au monde dans un univers inconnu.

L’enfant rose va peu à peu apprendre à marcher, à définir ses sensations jusqu’à se reconnaître dans un miroir aquatique. Il va ensuite rencontrer un mystérieux animal, et « pour la première fois, il a pu plonger son regard dans un autre regard ». Il va donc apprendre qu’il n’est pas seul au monde… Les composantes du paysage sont nommées dans un texte court d’une ou deux phrases, et peintes à la gouache. Des flaques colorées en forme d’éclaboussures représentent les feuillages très denses dont les troncs se détachent distinctement. Cette peinture, de facture impressionniste, donnent l’illusion de la liquidité. Les reflets brouillés de l’eau contrastent avec la structure plus ronde du paysage.

J’écris l’Illiade, Pierre Michon (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Lundi, 30 Juin 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Gallimard

J’écris l’Illiade, Pierre Michon, Gallimard 269 p. 21 € Edition: Gallimard

 

J’écris Michon

Ou plutôt je le crie !

Car Michon peut crier aussi. On le savait savant. On le savait minuscule et immense, on le savait montagnard des montagnes, ombré de vallées d’arbres, profondes, obscures, et on savait, grâce à lui, de savants pas moins les zincs où boire et apprendre, les rivières de sources blanches et les Beunes, bon, on savait tout ça de Michon, mais de Pierre que savait-on ?

Le lire s’impose plus que jamais. Il est vieux, il a son âge, deux mille ans pas moins.

Il est jeune, pubère à peine. Il baise en fontaines les princesses de jupes courtes, d’ailées jarretelles. Il n’est pas politiquement ni wokement correct. Il se moque de woke et se fout de MeToo, il est Pierre et sur ce royaume, in saecula saeculorum, Pierre Michon est notre Grand Auteur et Lecteur Difficile.

Ulla ou l’effacement, Andréas Becker (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Lundi, 30 Juin 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ulla ou l’effacement, Andréas Becker, Éditions d’En Bas Illustr. de couverture : Jean-Denis Bonan

 

S’effacer devant le monde, comme Ulla dans l’insoutenable absurdité de vivre, ouvre un espace scriptural vertigineux au tempo singulier. Un ravissement a lieu ici dans le laps d’effacement d’une femme, au sens d’un rapt de soi et d’une violence aussi tragique que sublime opérée dans le ravissement de la vie le long d’une descente infernale. Est sublime ce qui nous dépasse, nous terrifie, nous fascine. Ulla, personnage principal, nous sidère autant que le monde lui est jusque dans son agonie un scandale dans son affirmation de soi et de la vie. Dans Ulla ou l’effacement la langue narrative, ciselée, opère à cœur ouvert l’absence au monde progressive d’une femme que le narrateur et le lecteur accompagnent dans un mal-être irréversible. La joie de vivre pourrait-elle (re)jaillir de l’effacement, comme dans la chanson Le Mal de vivre de Barbara ?  Et, que peut dire encore la langue, que lui reste-t-il d’exprimable lorsque la vie s’en va ? Nous retrouvons ces questions existentielles (essentielles) posées par l’écrivain-essayiste-peintre-auteur-interprète et correspondant littéraire, Andréas Becker, comme il le fit par exemple dans un dialogue avec Philippe Bouret autour de la créativité, dans Je suis redevenu celui que je n’avais jamais été (éditions Douro, 2024).