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Les Livres

Grimus, Salman Rushdie (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 23 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Folio (Gallimard)

Grimus, Salman Rushdie, Gallimard Folio, 2023, trad. anglais, Maud Perrin, 471 pages, 9,40 € . Ecrivain(s): Salman Rushdie Edition: Folio (Gallimard)

 

Ce premier livre de Salman Rushdie, publié en 1977 et passé, inexplicablement, totalement inaperçu, a été traduit en français et édité chez Gallimard en août 2023.

Grimus est un roman torrent, un récit d’aventures au cours… aventureux, un écrit délire, un voyage onirique, une traversée du miroir, une transgression, un parcours aléatoire, une succession de sauts, sursauts, bonds et rebonds narratifs, un texte à tiroirs dont on cherche souvent, parfois vainement mais ceci participe de l’enchantement, les clés, et globalement un étourdissant mélange des genres. A la rigueur, si on veut absolument se hasarder à l’enfermer dans une typologie formelle, on peut considérer que l’ensemble des pérégrinations, péripéties, aventures et mésaventures dans lesquelles l’auteur ballotte le héros s’apparente à une épopée individuelle ou, si l’on veut, à une trajectoire odysséenne à quoi manquerait toutefois une Pénélope attendant le retour du voyageur.

Les Carnets du sous-sol, Fiodor Dostoïevski (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 22 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Russie, Roman, En Vitrine, Babel (Actes Sud), Cette semaine

Les Carnets du sous-sol, Fiodor Dostoïevski, Actes Sud Babel, traduit du russe par André Markowicz, 165 pages . Ecrivain(s): Fédor Dostoïevski Edition: Babel (Actes Sud)

De profundis clamavi…

C’est bien un chant funèbre, un thrène lugubre qui s’élève du fond des ténèbres, d’un sous-sol antichambre du royaume des morts. Parce que le personnage qui parle dans une logorrhée pleine de fiel n’est pas mort mais souhaiterait bien mourir. Il déteste le monde mais il se déteste plus encore, en tout premier. Mais au-delà de l’auto-flagellation c’est l’humanité qui est visée : l’« idiot » du sous-sol c’est l’homme, c’est tous les hommes.

Qui parle du fond du trou ? Nous ne le saurons jamais vraiment mais qu’importe. Il se dit méchant, lâche, malade, haineux. Nous l’avons dit « idiot », pas seulement pour faire une allusion à un autre ouvrage de l’auteur mais parce qu’il y a vraiment dans l’étymologie du mot – ἴδιος idios – une figure qui permet de capter le personnage au plus près : singulier, pas comme les autres, qui ne participe pas à la vie politique de sa république. Le sous-sol, c’est ce qui est en-dessous de la Cité, qui n’en est pas vraiment tout en en étant quand même.

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 22 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, PUF

Dévastation, La question du mal aujourd’hui, Dominique Bourg, Puf, septembre 2024, 320 pages, 18 €

 

« Nous préférons voir sombrer le navire plutôt que de voir nos noms effacés de la coque ! » (Mark Lilla)

 

Le titre de ce livre est bien choisi, puisque sans appel (la ruine, le saccage, la destruction à la fois de la vie et de ce qui fait vivre… y sont entendus sans ambiguïté), mais le terme même de « dévastation » a une étrange étymologie. Si « vastare » (ou « devastare ») en latin désignait déjà l’action de ravager et ruiner, c’était au sens de faire le vide, de rendre désert, de « désoler » les lieux, car « vastus » (qui a donné notre « vaste ») renvoie, non du tout à une ampleur disponible et confortable, mais à une étendue pour rien, ou de rien, un forum abandonné de ses occupants, un site vidé de ses défenseurs, une mer immense qui disperse et désoriente… La « vastitude » est donc d’abord négative, l’effet de dépeuplement par une reddition, un incendie, ou, au sens figuré, l’état d’une âme stérilisée par le remords ou égarée par sa propre insatiabilité.

Métamorphoses, migration, Adonis (par Nicolas Grenier)

Ecrit par Nicolas Grenier , le Mardi, 21 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Mercure de France

Métamorphoses, migration, Adonis, Mercure de France, octobre 2024, trad. arabe, Aymen Hacen, 176 pages, 20,50 € Edition: Mercure de France

 

Adonis, poète migrateur

Le poète syrien, Adonis, ouvre les portes de son royaume intérieur à l’Européen, à travers son Orient natal, ses traditions, ses mythes, ses légendes. Le recueil de poésie Le livre des métamorphoses et de la migration dans les contrées du jour et de la nuit, écrit entre 1961 et 1965, se découpe en quatre mouvements, à l’image de quatre points cardinaux, de la Fleur de l’alchimie aux Métamorphoses de l’amoureux. Dans ce voyage initiatique, chaque poème, en vers libre ou en prose, s’apparente à une escale :

 

Je devrais voyager dans le paradis des cendres

Parmi ses arbres secrets

Dans les cendres, les mythes, les diamants et la toison d’or

Le Bruit des choses, Philippe Barrot (par Guy Donikian)

Ecrit par Guy Donikian , le Mardi, 21 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie

Le Bruit des choses, Philippe Barrot, PhB éditions, octobre 2024, 48 pages, 10 €

 

Ce texte court, poétique, n’est pas, a priori, ce que laisse supposer son titre, « le bruit des choses » ; il s’agit plutôt d’un futur antérieur, sans doute inspiré des effets du bouleversement climatique, dont les conséquences sont déjà présentes, comme en Espagne récemment… Ici l’eau est omniprésente, qui recouvre tout un environnement auparavant bruyant de vie, et un presque silence s’instaure où la vie prend des formes autres et cependant contingentes. Il y a alors des vies plus sourdes qui naissent de la submersion, des vies qui s’insinuent et s’instaurent en rappelant à l’évidence ce qui fut et ce qui ne sera plus.

Et dans ces eaux, qui désormais recouvrent tout, l’éponge prend vie et place, et « révèle l’antérieur silencieux des eaux salées, lieu de vie par excellence, où se trament les divisions cellulaires d’un devenir dont on ne sait rien ». L’éponge, en raison de ses appétits, a amassé des matériaux divers qui ont permis la complexité de sa morphologie en dédale. Mais si l’eau est son milieu de prédilection, « L’éponge vit une autre vie sans eau.