Célèbre la terre pour l’ange, Anthologie, Rainer Maria Rilke (par Gilles Banderier)
Célèbre la terre pour l’ange, Anthologie, octobre 2018, trad. allemand Jeanne Wagner, 138 pages, 14 €
Ecrivain(s): Rainer Maria Rilke Edition: Albin Michel
À force de contempler des cascades d’angelots aux joues rebondies et aux membres potelés ruisseler des plafonds dans les églises baroques, on a fini par oublier à quel point ces êtres surnaturels, qui contemplent Dieu en face, peuvent être inquiétants (le peintre belge Fernand Khnopff s’en était souvenu). Une hiérarchie complexe les différencie, de l’humble ange gardien (mais un ange peut-il être humble ?) qui accompagne chaque être humain le long de son chemin ici-bas, à ces entités mystérieuses que sont les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Puissances, les Principautés (voir l’épître aux Romains, 8, 38-39), que le catholicisme d’avant l’effondrement invoquait dans le canon de la messe ; en passant par les archanges : Gabriel, Raphaël (qui guérit Tobie) et Michel (en hébreu, « qui est pareil à Dieu »), protecteur du peuple juif, de la Synagogue, puis de l’Église. « Ego enim sum Raphael angelus, unus ex septem qui astamus ante Dominum » (Tobie 12, 15, « Je suis Raphaël, l’un des sept anges qui se tiennent devant la gloire du Seigneur et pénètrent en sa présence », trad. T.O.B.)
Quiconque a fréquenté la poésie de Rilke sait la place qu’y occupent les anges. La théologie angélique du poète, si l’on peut employer cette expression, a subi plusieurs influences, dont La chute d’un ange de Rodin, qui devance d’un bon siècle le film fameux de Wenders. Rilke entretint-il véritablement une dette envers la Perse préislamique (Friedrich Carl Andreas, le chaste mari de Lou Andreas-Salomé, fut un iranologue réputé) ? Fut-il un lecteur de Lamartine ? Ou Rilke a-t-il retrouvé, via ses périples en terres orthodoxes et catholiques, une angélologie originelle, loin d’une iconographie douceâtre à la mode ?
Cette belle anthologie, dont on regrettera qu’elle ne fût pas bilingue, propose, dans une nouvelle traduction, à la fois des extraits d’œuvres bien connues (les Cahiers de Malte Laurids Brigge, les Élégies de Duino) et des textes moins célèbres, comme cette mystérieuse Vie de Marie, perdue, puis récrite en quelques jours comme sous une « dictée magique », sans oublier plusieurs pages de poèmes composés par Rilke directement en français.
Gilles Banderier
- Vu : 1976