Archéophonies, Peter Gizzi (par François Baillon)
Archéophonies, mars 2019, trad. Stéphane Bouquet, 80 pages, 16 €
Ecrivain(s): Peter Gizzi Edition: Editions José Corti
« Archéophonies », comme un retour au pays des voix anciennes, des voix lointaines. Nous y sommes conduits par l’appel de « la vieille langue, / équipée de lances et de jambières / de boucliers brisés / et de voyelles martelées ; / un escalier montant / vers un miroir – regardez-la / gravir la vieille spirale, / sous les balafres écaillées / d’un ciel septentrional, / une rotonde bleue » [p.15]. « Je rends juste visite à cette voix » [p.11], nous dit le poète.
Là où se trouve la richesse poétique et langagière de Peter Gizzi, c’est que même si nous pouvons en avoir eu l’image à un moment précis, en aucun cas nous ne nous voyons remonter dans les étages austères d’un château moyenâgeux de la langue. Certes, la nostalgie conduit le poète en certains instants, mais il s’agit de la nostalgie de son propre passé, comme peuvent l’illustrer Bout d’emballage ou Instrument à vent.
La lecture progressant, il est impossible de croire à une simple exaltation du passé ; l’exemple de Google Earth, du reste, laisse croire que le poète ne déplore pas nécessairement ce que le monde actuel nous offre : « ces écrans tactiles que la distance magnifie ». La « vieille langue » – définition tout à fait inappropriée à celle de Peter Gizzi, soulignons-le – se dévoilerait alors sous l’état d’une source, d’une essence, ce à quoi revient naturellement tout véritable poète. Et gageons que les mots sont une arme dont Peter Gizzi se délecte, s’émerveille, dans cette « extase de nommer » [p.17], car « Longtemps le nom des choses et les choses innommées » [p.62]. L’extase d’observer également, l’extase d’entendre « L’hymne au pipeau d’un voyage gitant sous la lumière d’une lampe, la lumière du hautbois » [p.46] ; « Et si le jour était un contreténor / nous informant, battant la bureaucratie » [p.54]. L’extase d’être au monde pleinement et simplement.
Nous avons évoqué le passé, la nostalgie, justifiée par le fait d’être un appui vers une recherche de sentir et d’être plus directement, totalement « La vieille langue / continue ses dialogues / dans la poussière ordinaire » [p.27]. De sorte que ce recueil semble être conduit par une lumière grandissante, voulue absolument, le poème Savoir lire pourrait s’avérer justement représentatif de cette quête : « Un monde de lumière et un monde d’ouverturisme… » [p.52]. Lumineux comme la couverture de l’ouvrage (les couvertures des Editions Corti ne cessent de m’enchanter par leur élégance et leur sobriété), le soleil autant que l’observation de la nature guident le poète, semble-t-il, dans son vœu d’intemporalité. Comment ne pas savourer sa vision fugace de l’amour dans Tout joli tout beau ? Comment ne pas être porté par les étranges tableaux d’Un linceul pour l’été et par des vers comme « Le soleil était un haillon d’or cloué à l’échelle. / Et ici les soucis poussent jusqu’au bord des rives. / Les éphémères somnolent sur les eaux » [p.67], avec leurs merveilleux doubles sens sur « soucis » et « éphémères » ? Puisqu’on ne lit pas Peter Gizzi dans la langue originale, il nous faut alors saluer la traduction de Stéphane Bouquet, qui nous donne à voir et à sentir une espérance éclatante dans la traversée de cet ouvrage. Cependant, on sait que la poésie s’identifie davantage aux questions qu’aux réponses, et rien n’est moins étonnant que de trouver dans les dernières lignes : « mes membres lourds / me forcent / à m’éveiller dans / des crépuscules striés / faisant se lever à travers / la strate / une question / dans mon cerveau » [p.76].
La voix ancienne ou « la vieille langue » crée la voix moderne, doublée, dans les vœux (sans doute exaucés) de Peter Gizzi, de la voix intemporelle.
François Baillon
- Vu : 2418