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Les Chroniques

Par la vaste mer, Andrés Sánchez Robayna (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 30 Mai 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Par la vaste mer, Andrés Sánchez Robayna, éditions Le Taillis Pré, janvier 2022, trad. espagnol, Claude Le Bigot, 113 pages, 15 €

 

Poésie et réalité

Dès le premier poème du recueil d’Andrés Sánchez Robayna, on comprend immédiatement où se trouve le propos du livre : garder la réalité sous le manteau de la langue. Rien de simple néanmoins, car au contraire la gageure de cette écriture fait apparaître un répertoire presque abstrait, des thèmes éternels donc archétypaux, de la mer, de la montagne, de la maison et du ciel. C’est ici la difficulté : parler haut d’éléments sans aspérité.

Et par ce procédé, celui de l’essence, vient jouer le désir, et particulièrement le désir amoureux (qui semble avoir été une alarme, une secousse pour l’auteur). Car pour le poète le poème est un calque, l’écriture un principe mimétique, le regard une pellicule que l’on retire des choses. Le poème est « prise de guerre », il règne sur l’image, il saisit de la vibration naturelle de l’univers (et le désir en est l’aiguille principale), où le poème retrouve son essence de suspens, d’empreinte, de confinement dans un monde plus suffocant, plus profond, une sorte de passage dans les abysses secrètes de l’art.

Corps incessant, Franck Bouyssou, Jacques Cauda (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 25 Mai 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Corps incessant, Franck Bouyssou, Jacques Cauda, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, février 2022, 78 pages, 10 €

Cylindrer le corps, pour le fouler, le lustrer, pour faire surgir de la carcasse, « calandre rutilante », la quintessence… Cylindrer son silence, dans « la transhumance de la sève/l’essor pénombral de la vouivre » pour le faire parler au-delà de sa présence immédiate… Quel est ce « corps » insaisissable et « incessant » capable de saisir la temporalité et la chair de la langue, l’espace d’un livre, mais aussi les plages de notre existence, assez en tout cas pour que sa réalité devienne cette ombre impalpable nous habitant et nous enveloppant plus loin que le présent ?

L’auteur de ce recueil poétique est psychiatre et l’on sait la place du corps dans le soin psychiatrique. Le corps et son appréhension constituent des éléments essentiels de la conscience de soi, et nous ramènent au moment présent ; il est également un médiateur par excellence pour l’entrée en contact avec un patient ou l’instauration d’une relation basée sur la confiance ; ou au contraire l’écran tactile et sensible à la douleur, qui pourra être « meurtri » en cas de maltraitance voire de violence.

Écrits sur l’art, Jean Cocteau (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 24 Mai 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Gallimard, Arts

Écrits sur l’art, Jean Cocteau, Gallimard, Coll. Art et Artistes, avril 2022, 400 pages, 26 €

 

La vérité de l’art

Comme il m’a fallu reculer dans le temps pour lire les Écrits sur l’art de Jean Cocteau, et que j’avais impatience de le parcourir, j’ai lu presque d’un seul trait les 400 pages de l’ouvrage (illustré par des reproductions en couleur de tableaux, dessins, photographies…). Du reste, je lis beaucoup Cocteau, ou je le relis, depuis son théâtre, et j’ai l’impression qu’une nouvelle lecture de l’œuvre du poète pourrait correspondre à notre époque sèche, froide, pleine de lieux communs.

Dans ce recueil d’articles, j’ai rencontré une musique très fine, un style fluide et pas ennuyeux, une sorte de legato littéraire qui repousse toute fadeur, ornant l’expression de l’auteur, poursuivant un véritable questionnement sur les arts visuels, depuis le cinéma jusqu’à la mode vestimentaire. Chaque mot attendant le suivant, mais jamais acquis à des idées ou des images d’Épinal, mais toujours tendu vers la découverte et la surprise. Il n’y a rien à laisser dans les écrits esthétiques de l’auteur de La Machine infernale.

Penser la perception, Jean Daive (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Lundi, 23 Mai 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, Essais, La Une CED, Arts

Penser la perception, Jean Daive, L’Atelier contemporain, février 2022, 320 pages, 25 €

 

La prose du monde.

De par son titre, cet ouvrage volumineux de Jean Daive vise tout un programme et en même temps il soulève une somme de difficultés. Vaste programme, en effet, que d’envisager le monde qui est là devant nous, d’en rendre compte, de le « penser » et de savoir lire nos sensations dans toutes leurs richesses. Mais, difficulté majeure, comment peut-on traduire ce monde complexe dans lequel nous baignons ? Peut-on le « penser » comme tel ? « Penser » et « perception » ne sont-ils pas deux mots antinomiques ? Peut-on ranger la perception sous l’ordre de l’entendement ou d’une quelconque faculté intellectuelle ? N’est-ce pas alors enrégimenter ce que nous sentons, le calibrer, biffer tout ce qui fait sa variété ? Vouloir introduire la pensée reviendrait alors à définir la perception comme un exercice du jugement tel que le souhaitait la philosophie classique, de Descartes à Alain.

Frida Kahlo, Helga Prignitz-Poda (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 19 Mai 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Langue allemande, Arts

Frida Kahlo, Helga Prignitz-Poda, Gallimard, mars 2022, trad. allemand, Josie Mély, Catherine Weinzorn, 264 pages, 35 €

Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón entre souffrance et rébellion

La nouvelle édition de la magnifique monographie consacrée à Frida Kahlo (1907-1954) est rédigée par Helga Prignitz-Poda. L’historienne de l’art allemande approfondit la trajectoire de l’existence de Frida Kahlo, depuis sa naissance à Coyoacán, au Mexique, pays alors peuplé d’une classe dirigeante européenne tenant tous les secteurs économiques et d’une population indigène jugée indigne de participer aux grands événements de la nation. Les convictions politiques, les rêves, les rencontres, les souffrances, la liaison avec Diego Rivera (1886-1957) s’imbriquent dans l’œuvre de Frida, traversée à la fois par le style de la Renaissance, les mythes grecs et « les mythes aztèques de la Création ». L’artiste a assisté aux scènes cruelles de la Révolution (entre les Zapatistes et les Carrancistes), s’est passionnée pour la poésie de Walt Whitman, le bouddhisme et le marxisme, et a « choisi un chevalier en la personne de Diego ». Helga Prignitz-Poda livre une vision traumatique de l’artiste mexicaine, de son rapport à l’enfance, ceci en dépit d’une reconnaissance assez rapide (vente de tableaux dès 1938) – au contraire de Louise Bourgeois (1911-2010), découverte tardivement.