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Les Chroniques

Les best-sellers sont une menace contre la liberté du lecteur et de l’écrivain (par Amin Zaoui)

Ecrit par Amin Zaoui , le Mercredi, 16 Mars 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

De plus en plus, l’étau se resserre autour du lecteur. De plus en plus, la littérature est étouffée par le marketing d’un côté et encerclée par les médias de l’autre. L’imaginaire de l’écrivain est, tout comme celui du lecteur, visé, perturbé. La liberté individuelle créative se perd, de plus en plus, dans la précipitation chaotique. Le phénomène du best-seller est une menace contre la diversité littéraire. Plusieurs beaux romans sont anéantis, jetés aux oubliettes devant la farce d’un best-seller.

Sans doute parmi ces milliers de romans marginalisés, condamnés et exécutés à l’aide d’un revolver médiatique silencieux, il existe des perles littéraires. La sentence est tombée avant même qu’ils ne soient lus. Inconsciemment, le phénomène du best-seller pèse sur la liberté de la lecture individuelle. Charge la liberté de l’écrivain.

Dans ce phénomène du best-seller, ce sont de parfaits inconnus qui lisent à notre place. Ce sont des inconnus qui choisissent pour nous les livres que nous lisons. À leur goût, ils bannissent des titres et en glorifient d’autres. Ces inconnus, qui font la pluie et le beau temps dans la littérature, s’offrent la place du magistrat suprême et notent les écrivains. Classent les hommes de livre. Les vedettes, les bons, les brutes, les truands, les moins bons, les moyens et les médiocres. Les vendus, les existants, les invendus et les inexistants.

Misère de l’homme sans Dieu, Michel Houellebecq et la question de la foi, Collectif, Caroline Julliot, Agathe Novak-Lechevalier (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 15 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Flammarion

Misère de l’homme sans Dieu, Michel Houellebecq et la question de la foi, Collectif, Caroline Julliot, Agathe Novak-Lechevalier, Flammarion, janvier 2022, 384 pages, 14 €

 

S’agit-il vraiment d’une qualité propre à un écrivain, au même rang que le style, l’aptitude à construire une intrigue, à créer des personnages auquel le lecteur aura envie de croire ? On peut en discuter. Quoi qu’il en soit, il faut reconnaître à Michel Houellebecq une impressionnante capacité à distinguer les « signes des temps ». Par quel prodigieux hasard, après ses déclarations franches sur l’islam, « religion la plus con », ses éditeurs choisirent-ils la date du 11 septembre 2001 pour aller faire amende honorable à la Grande Mosquée de Paris ? Quelques années plus tard, en décembre 2014, la publication annoncée de Soumission s’accompagna d’une écœurante odeur de sang : on allait voir ce qu’on allait voir et tout le landernau de l’antiracisme subventionné, de l’islamophilie aveugle et de la dhimmitude volontaire, se préparait pour la curée médiatique, en attendant peut-être mieux (accuser quelqu’un d’islamophobie équivaut à lui peindre une cible dans le dos ou des pointillés sur la gorge).

Tu vis ou tu meurs, Œuvres poétiques (1960-1969), Anne Sexton (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Tu vis ou tu meurs, Œuvres poétiques (1960-1969), Anne Sexton, Éditions des femmes-Antoinette Fouque, janvier 2022, trad. anglais (USA) Sabine Huynh, 320 pages, 24 €

 

La question du réel

La question du réel se pose de toute évidence à lecture de ce recueil d’Anne Sexton disparue en 1974. Je dis cela à dessein car l’autrice en son texte met nettement la réalité en échec, réalité débordée par une langue transcendante, une langue qui défait le réel pour le reconstruire. La réalité ici a été altérée par des conflits psychiques – conflits au cœur de la création littéraire devrais-je préciser – dont l’issue a été l’asile. Cela laisse ainsi présager à la fois de la douleur ontologique de la personne et ce qui ouvre malgré tout le répertoire sauvage, flirtant avec l’Art Brut, et l’inquiétude, voire l’inquiétante étrangeté qui nous saisit dans cette prosodie légèrement bizarre.

La possession démoniaque : le corps-spectacle - Morzine et compagnie (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 09 Mars 2022. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Dès les premiers symptômes à Morzine, les médecins avouent qu’« on ne peut faire entrer [Perrone] dans aucun cadre nosologique ». Les hommes de l’administration sarde dépêchés sur les lieux parlent de « phénomènes extraordinaires et inexplicables ». En quoi consistent ces phénomènes ? Rien de bien nouveau pour qui s’est laissé conter d’autre diableries, celles de Loudun plus de deux siècles auparavant : convulsions accompagnées de performances physiques peu courantes, invectives insultantes souvent à caractère sexuel, surtout venant de petites filles réputées « douces et bien élevées », délires mêlant superstitions locales et thèmes religieux. En somme – et les hommes d’église vont vite le comprendre – le tout-venant de la clinique démonologique.

Et le rituel, comme deux siècles plus tôt à Loudun, va déployer son théâtre, mettre en place ses tréteaux, ses acteurs, ses régisseurs, ses spectateurs. Les essaims murmurant d’hommes de savoir, de pouvoir politique et spirituel, vont se répandre dans les rues du village, dans les maisons, dans les têtes.

L’Écorce terrestre, Jean-Pierre Chambon (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 08 Mars 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

L’Écorce terrestre, Jean-Pierre Chambon, Le Castor Astral, 2018, ill. Jean-Frédéric Coviaux, 144 pages, 18 €

Poésie interstitielle

C’est au moment où je rédige cette chronique que je trouve la clé de l’ouvrage. D’ailleurs, le titre L’Écorce terrestre indique clairement de quoi il s’agit : d’une écorce d’arbre, la peau du chêne par exemple, ce qui revient donc à dire quelque chose de la lisière, de ce qui affleure dans l’épiderme végétal. L’action de la porosité, le travail de la capillarité, telle est la promesse du livre. De ces éléments de pénétration, je retiens la capacité de ces poèmes à designer les interstices, à se loger dans la double nature du langage, c’est-à-dire capter la lumière tout en inventant la lumière. Ces poèmes témoins du mouvement supérieur de l’écriture conduisent le lecteur à plonger avec le poète dans cette maison de l’être devenu pluriel, étoffé, agrandi, augmenté par le langage.

Pour préciser mon idée, je dirai que l’écorce terrestre fait au fond lien avec le monde céleste, celui des eaux et du vent, des montagnes et de l’air qui se raréfie. Donc, une douce euphorie, un enivrement que seul le poème rend possible. Poésie de l’interstice et du contact, de la profondeur et des surfaces, de la terre et du ciel, relation chtonienne à l’air, le globe et le périmètre des étoiles. Le poète se trouve là cherchant les lumières et l’aurore boréale au milieu de l’abîme et ses ombres.