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Les Chroniques

Aorte adorée, Christophe Esnault (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 27 Juin 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Aorte adorée, Christophe Esnault, éditions Conspiration, avril 2022, 42 pages, 7 €

 

Faut-il survivre ?

Ce nouvel opus de Christophe Esnault se construit entre la douleur et la mort, et plus précisément, comme une ode morbide du suicide. L’on en retient une forme ambiguë de la notion de vivre, de survie. La vie est donc stupide, elle ne sert à rien, elle n’est qu’absurdité. Telle est la déclaration de ce recueil des 32 manières de mettre fin à ses jours. Et si l’on pousse le trait un peu plus loin, l’on voit le constat d’une existence faite d’un grand désespoir, et qui justifie de sa noblesse justement par ce dessein, imaginé 32 fois, du suicide. Et s’il n’y avait l’humour, tout deviendrait insupportable, le quotidien resterait étouffant, car seule peut-être la littérature a-t-elle le pouvoir de faire plier l’angoisse avec le rire.

 

Le mythique fusil de chasse

Les frères noirs, Lisa Tetzner, Hannes Binder (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 24 Juin 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Roman, Jeunesse, La Joie de lire

Les frères noirs, Lisa Tetzner, Hannes Binder, éd. La Joie de Lire, mars 2022, 14,90 € / 19,90 CHF

 

Assombrissement de la condition humaine

Lisa Tetzner (1874-1963), fuyant l’Allemagne nazie avec son mari Kurt Held, tous deux réfugiés en Suisse dans le canton de Tessin, près de leurs amis Herman Hesse et Bertolt Brecht, est devenue dans les années 1950 un des maîtres de la littérature fantastique pour la jeunesse. Les frères noirs (Die schwarzen Brüder) est repris par Hannes Binder (né en 1947, diplômé de l’École des Arts appliqués de Zurich), ici, en roman graphique, au format 14x21 cm, admirablement illustré avec les techniques de la gravure et de la carte à gratter.

Le récit de Lisa Tetzner, très connu en Allemagne, est l’histoire vraie qui témoigne des difficultés des Italiens contraints de vendre leurs forces vives. C’est ainsi que leurs enfants furent réduits par d’ignobles patrons à l’ilotisme, la misère, l’exploitation, la déchéance physique et psychologique. Le texte fait penser à la fois à Oliver Twist et à Germinal, œuvres relatant la condition ouvrière, le labeur forcé, le sort effarant du prolétariat, soumis à la cruauté et aux abus en tous genres, jusqu’à l’épuisement et la mort. Liza Tetzner et son mari, écrivains prolétariens allemands, ont témoigné de la situation du peuple de la Suisse italienne.

Les Forcenés, Jean Desbordes (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Jeudi, 23 Juin 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Les Forcenés, Jean Desbordes, Interstices Editions, mars 2022, 181 pages, 22 €

Comme le souligne Renaud Lagrave dans son éclairante postface, Les Forcenés de Jean Desbordes (Interstices Editions, mars 2022 ; première publication par Gallimard en 1937) se caractérisent, sous de nombreux aspects, par une facture plus théâtrale que romanesque. Le récit se construit sur une succession de scènes (à tous les sens du mot) souvent paroxystiques, nous rapprochant tantôt de la tragédie (une tragédie bourgeoise évidemment), tantôt du mélodrame, qui justifient bien le titre.

Acte I : le narrateur, Georges, jeune officier en garnison à L., fiancé à la plus jeune encore Marie-Thérèse, répond aux avances de Blanche R., rencontrée lors d’une soirée costumée et qui a deux fois son âge, qui pourrait être sa mère, parce qu’elle tombe dans les escaliers. Acte II : la passion de Blanche pour Georges coûte à celle-ci son rang social et la conduit à quitter son mari, pourtant peu encombrant. Acte III : Blanche et Georges se réfugient en Provence dans une petite maison à flanc de colline ; cohabitation exaltée et par nécessité décevante ; les revenus s’amenuisent, le futur s’assombrit. Acte IV : les deux amants apprennent le suicide (raté) de Marie-Thérèse et celui (réussi) du mari ; lors d’une nouvelle dispute, chacun finit par se donner la mort, à quelques minutes d’intervalle, avec le revolver acheté par Georges.

Les événements, suite, Isabel Ascencio (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 22 Juin 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, La Brune (Le Rouergue)

Les événements, suite, Isabel Ascencio, Le Rouergue, La Brune, mars 2022, 245 pages, 20 €


Il y a dans ce livre tout ce qu’on recherche dans un roman ; une histoire, croisée avec l’Histoire, des personnages forts et attachants, du mystère, une enquête, tout ça posé dans le décor, un personnage en soi, du Var, de la Corse et de l’Algérie. Alors, qu’on puisse hésiter en avançant, sur le mot roman – et si c’était le récit et des tranches de vie de l’auteure ? n’enlève rien au plaisir qu’on prend à ce livre-roman-récit, captivant d’un bout à l’autre. Ajoutons, le tout servi par une magnifique écriture, ce qui en fait un produit littéraire parfaitement réussi.

Le titre, à la fois ouvert et fermé, « les événements, suite », couvre l’histoire, tissée – trame, chaîne – et agencée telles de multiples poupées gigognes qui n’en finissent pas de nous tromper quant à leurs tailles et de chatoyer à ces soleils du sud – encore un personnage.

Petit éloge amoureux de l’Occitanie, Alain Monnier (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 21 Juin 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Petit éloge amoureux de l’Occitanie, Alain Monnier, éditions Privat, mai 2022, 190 pages, 17,90 €

L’Occitanie telle que cet auteur l’aime hors de lui, et la respecte en lui, est un Midi complexe (même géographiquement, de Toulouse à Nîmes, de Figeac à Foix), rude (sans pétanques ni plages) et caché (caché, justement, dans les pudiques âmes du Midi), mais certain. En croyant quitter son pays natal, on emporte bien plutôt avec soi le « fatras des origines » dont on pensait se débarrasser. En y revenant, ce qui nous en a (ou aurait) fait partir nous pardonne. Comme une odeur (ou une voix) oubliée traverse d’un coup toute une vie pour nous atteindre neuve, le passé fondateur d’un écrivain sort de son livre nous rejoindre. Nous sommes alors de son ici.

Alain Monnier (né à Narbonne en juillet 1954) est un homme (ouvert, fin, raisonnable et souriant) qui rend ici justice à une enfance heureuse (« Il est facile de grandir dans un milieu bienveillant », p.22), qui rend raison du ridicule de ses premiers émois (« Les amours de jeunesse sont rudes pour les âmes romantiques. Les tourments pour cette Nicole S. dont je n’avais même pas effleuré un sein furent quelque peu démesurés », p.74), qui rend hommage au courage vivant (sans protection ni ressources) – celui d’un Jankélévitch traqué et banni pendant la guerre –, opposé au courage confortable, purement médiatique et complaisant d’un Sartre en 70 :