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Les Chroniques

Le muguet rouge, Christian Bobin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mardi, 29 Novembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Le muguet rouge, Christian Bobin, Gallimard, octobre 2022, 88 pages, 12,50 €

 

« Des gens instruits nous mènent à la catastrophe. Je n’ai pas ouvert le journal. Je suis allé chercher les nouvelles du jour dans les Pensées. Au siècle de Pascal on jette de la paille sur les pavés devant les demeures où s’agite un mourant, afin que son agonie ne soit pas injuriée par le grincement bonhomme des roues des carrosses. Les pensées sont le goutte-à-goutte de cette agonie : que nul ne se détourne de son néant » (p.62).

Christian Bobin, malgré trois années de silence, se répète – et c’est la meilleure des nouvelles ; il se répète parce qu’il y a en lui une idée (celle d’une présence pure, d’une rencontre juste, d’une attention héroïque) qui ne passe pas parce qu’elle ne faiblit pas, et qu’il ne doit lui-même pas dépasser car elle compte sur lui : il est son meilleur terreau, sa voix favorite, son fraternel et libre notaire. C’est ici l’idée de la confrérie du muguet rouge : puisqu’on offre du muguet existant (le blanc) pour la fête du travail, offrons-nous donc un bon muguet rouge, qui n’a aucune chance d’exister, pour fêter le travail sur soi. Établir un Premier Mai de notre transfiguration, voilà le projet du titre.

La vallée des papillons, Inger Christensen (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 28 Novembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

La vallée des papillons, Inger Christensen, Poésie/Gallimard, septembre 2022, trad. Danois, Janine et Karl Poulsen, 304 pages, 10,80 €

 

Je pense une lumière

Quelle rencontre avec la poète Inger Christensen dont une traduction récente m’a permis de découvrir le travail ! À vrai dire, je m’y suis engouffré comme si cette écriture était mienne ; je me suis accaparé son style et son étrangeté – ici prise dans le sens de Freud, pour qui c’était le surgissement de l’inconnu dans du connu. Ces poèmes, où parfois l’on butte sur des choses peu identifiées, viennent à nous par une force disons, chtonienne, une force lointaine, souterraine, une prosodie remarquable justement grâce à des altérités, des images qui se répètent, qui finissent par s’enfouir dans l’esprit du lecteur comme une forme de présence d’âme, une correspondance d’âme à âme.

De plus, l’écoute de cette écriture reste labile, meuble, pénétrée d’un sentiment d’exploration, une aventure en profondeur dans l’abysse si dur de la langue poétique. Et sa langue réussit à capter, à retrancher un hors champ des poèmes pour retenir de toutes petites choses, des « je-ne-sais-quoi et le presque-rien » susceptible de nous introduire dans un esprit, comme on le ferait d’une chambre étrange.

Face à la destruction, Psychanalyse en temps de guerre, Houria Abdelouahed (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Jeudi, 24 Novembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Face à la destruction, Psychanalyse en temps de guerre, Houria Abdelouahed, éd. Des femmes-Antoinette Fouque, septembre 2022, 160 pages, 16 €

 

Au bord de l’indicible

Dans son ouvrage récent, Face à la destruction, Psychanalyse en temps de guerre, Houria Abdelouahed (professeure à l’université Sorbonne Paris Nord, psychanalyste, traductrice) soulève une question fondamentale : « Pourquoi un tel chaos et de quoi Daesh est-il la survivance ? ». Durant les douloureuses séances à l’écoute de ses patients lesquels « livrent en vrac les détails d’un quotidien désastreux et la lutte des individus face à la famine, l’humiliation et la mort », H. Abdelouahed note que « le corps de l’analyste devient le réceptacle du cru, de l’inassimilable ». En amont du spectacle monstrueux des corps déchiquetés en Syrie, par exemple, il y a planification et concepts déclencheurs de conflit, propagande, des idéologues et une adhésion à la guerre fratricide.

Eschaton, Ici finit le règne de l’homme, Vincent La Soudière (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 17 Novembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Eschaton, Ici finit le règne de l’homme, Vincent La Soudière, La Coopérative, novembre 2022, 320 pages, 22 €

 

Mon unique rencontre – joyeuse et perplexe – avec cet auteur, en 1979, au buffet de la Gare du Mans. Il me dit : « Je n’y arrive plus… ». « À quoi ? » lui dis-je. « À Dieu » répond-il. Et nous avons ri. « Moi, lancé-je alors, je n’y suis jamais arrivé ». « Veinard » me répond-il. Et, son bock, mon verre de lait, de trinquer.

Cet homme (1939-1993) a eu un destin nettement tragique. D’un coté, une vie de solitude (pas de famille fondée), de dépression (pas de vie intérieure non-médicamentée) et d’errance socio-professionnelle (pas de diplôme, ni de carrière, ni même de domiciliation autonome), que Sylvia Massias résume brutalement ainsi : « Il a détruit son être, sans pouvoir en mourir ». Et puis, en même temps, une vie d’efforts constants, d’engagement intérieur passionné (dans la foi, l’écriture, la lecture), qui lui a donné un monde cohérent et profond, mais sans sol ni appui, sans ressources, sans écho ni même résistance utile. En un mot, il a construit sa personnalité, sans pouvoir y vivre.

Traduire Hitler, Olivier Mannoni (par Martine L. Petauton)

Ecrit par Martine L. Petauton , le Mercredi, 16 Novembre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Traduire Hitler, Olivier Mannoni, éd. Héloïse d’Ormesson, octobre 2022, 128 pages, 15 €


« J’allais replonger dans le texte d’Hitler, ce marécage dont la boue n’avait pas fini de coller à mes bottes de traducteur ».

« Historiciser le mal, Une édition critique de Mein Kampf, 2021, 700 pages, 2 livres, 27 chapitres, pour le livre d’Hitler, entouré d’un appareil critique d’une rare ampleur ». Qui ne s’en souvient ? Le projet, les historiens, l’opinion ; les différents points de vue ; le faire, ne pas le faire. La longue – et argumentée – polémique faisant la « une » pendant plusieurs mois, agitant le fond de notre conscience à tous, historico-morale ; pas si souvent qu’on a l’occasion d’un débat de ce type. Celui qui parle ici, c’est le traducteur, et quand on sait l’importance de la traduction, cette « autre » voix d’une œuvre, on ne peut qu’être très attentif à son récit – son rapport, pourrait-on dire.