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Les Chroniques

Tuer des roses, Claire Boitel (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Jeudi, 05 Janvier 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Editions Douro

Tuer des roses, Claire BOITEL, Éditions Douro, Collection La Bleu-Turquin ; 2022 [168 p.] - 17€

Le tour de force de ce roman de Claire Boitel est peut-être de parvenir à rendre vraisemblable une histoire improbable : la rencontre atypique de deux serial killers. Aussi, le titre qui ne manque pas de trempe : tuer des roses, interpelle. La brièveté des chapitres comme la concision de la narration coupent l’intrigue dans la chair (le cut linguistique !), active et réactive l’attention toujours sur le fil, le bord du suspens, borderline…  Les correspondances identitaires (Grégoire l’écrivant écrivain manqué qui s’auto-adore, face à « lui », le serial killer que Grégoire adore par identification perverse et narcissique), les correspondances statuaires (écrire comme on tue, word / work of death in progress : « Je marche dans les rues, à la recherche de mon premier meurtre. Je suis calme. C’est la page blanche. Encore vierge. Je me sens léger. Prêt à l’action ») et la mise en abyme du récit (« A-t-on le droit d’écrire en prison ? ») troublent les lignes... Quant aux échos à une actualité oppressante, ils font mouche et frappent où nos existences restent sensibles (« La vibration (du téléphone portable) que je ressens dans mon pantalon quand il est l’heure me rappelle toujours la chaise électrique des condamnés à mort »).

Un manoscritto domestico, Eugenio De Signoribus (par Jean-Charles Vegliante)

Ecrit par Jean-Charles Vegliante , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Un manoscritto domestico, Eugenio De Signoribus, Pesaro, Portatori d’Acqua, juillet 2022, 134 pages, 14 €

 

Quand un poète aussi affirmé et exigeant que De Signoribus se tourne vers la prose, on doit s’attendre à autre chose qu’aux habituelles descriptions poétiques, mais sans doute aussi à une écriture non romanesque, ou non uniquement romanesque. C’est le cas ici, où le passé revisité et surtout réécrit par un narrateur évidemment et toujours poète demeure bien à distance, sans identification possible, sans effet de réel qui chercherait pour le lecteur une illusoire évasion : vu à travers une longue-vue inversée, comme aurait dit Montale. Moins autobiographique, moins directement impliqué que – mettons – le remarquable Geologia di un padre de Valerio Magrelli (Einaudi, 2013) (1) ce « Manuscrit domestique », que l’on suppose ici retrouvé et retranscrit, un peu à la manière du « roman en vers » d’Attilio Bertolucci, se présente plutôt à la manière d’une archive ou sauvegarde d’un temps perdu forcément proustien. Les textes, çà et là remaniés (un peu) pour l’occasion, vont de 2009 à 2022, pour des souvenirs remontant aux années 1960 et en deçà par l’imagination entée aux récits familiaux – justement domestiques.

Lettre à Arnaud Genon sur une « passion circulaire » (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 04 Janvier 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Fous d’Hervé, Correspondance autour d’Hervé Guibert, Arnaud Genon, Presses Universitaires de Lyon, septembre 2022, 176 pages, 15 €

 

« Cette conduite, à la fois très affective et très surveillée, très amoureuse et très policée, on peut lui donner un nom : c’est la délicatesse »

(Barthes, Fragments d’un discours amoureux)

Monsieur,

Je vous remercie pour votre livre. J’ai toujours scrupule à être sollicité par un auteur ou un éditeur car on attend de moi, je l’imagine, en la circonstance, si je rédige une chronique, un plein éloge qu’il serait discourtois de nuancer. Or j’ai été vite rassuré : c’est un bel hommage, un bel « exercice d’admiration » que vous nous offrez là. Je le dis avec d’autant plus de sincérité que si j’ai été, à la fin du siècle dernier, un lecteur régulier mais critique de Guibert, l’autofiction, dont vous êtes un spécialiste, ne me touche plus guère aujourd’hui – parce qu’elle prolifère, jusqu’à sa consécration par un prix Nobel ?

Les Œuvres éternelles, Thibault Biscarrat (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 03 Janvier 2023. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Les Œuvres éternelles, Thibault Biscarrat, préf. Jean-Marc Fournier, éd. Ars Poetica, 2022, 10€

 

Croire

Parcourir le dernier recueil de poèmes de Thibault Biscarrat, revient à se tenir au plus près de l’esprit tout autant que de la lettre. Je dis cela car la grande référence en sous-texte, se satellise sur les deux Testaments. Or cette allégeance au texte sacré correspond surtout à des moments de profondeur et de mysticité qui saisissent le poète et le lecteur, par voie de conséquence. Il y a évidemment la question du croire, mais aussi une attention donnée à écrire l’essentiel, à savoir un poème ou rien n’est gaspillé, le plus proche du Livre possible, sorte de lieu d’abondance où plonge la foi. Le poème rend ici possible la spiritualité, la seconde, la double, lui donne un contenu avoisinant l’esprit du texte biblique.

Je me souviens d’Abraham ; la colombe s’envole à l’horizon. Toutes choses surgissent dans la gloire du Seigneur. Voici l’or, la bénédiction des pétales. Des montagnes me viendra le chant ; des montagnes me viendra le secours.

Le Marché de la poésie : l’insolence d’un oxymore ? (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Mardi, 03 Janvier 2023. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Bien que la poésie irrigue notre quotidien pour ceux qui savent observer, la poésie en format « livre » ne se vend plus, ou du moins, pas assez. Plus précisément, la poésie contemporaine reste très confidentielle. Les chiffres sont d’une tranchante réalité : la poésie et le théâtre représentent 0,3% du marché du livre. Même, la littérature, cette grande dame, représente aujourd’hui moins de 10% des ventes... Triste monde moderne où les modes d’emploi ont remplacé l’esprit fougueux et créatif. Mais les poètes résistent, leur créativité rebelle continue à s’exprimer par tous les pores et les ports de France et de Navarre. Ils sont des modèles pour tous les esprits épris de curiosité et de liberté.

Dès lors, avec de tels chiffres déprimants, qui a osé créer un marché de la poésie ? En effet, un « Marché de la poésie » a lieu chaque année à place Saint Sulpice, en plein cœur de Paris pour rassembler des petits éditeurs indépendants autour d’un seul thème : la poésie contemporaine. Créé en 1984 par Jean-Michel Place, éditeur et Arlette Albert-Birot, professeur de poésie moderne et contemporaine à l’École normale supérieure, ce « marché » met à l’honneur l’artisanat de la poésie. Spécialiste dans la réimpression des revues dadaïstes et surréalistes, Jean-Michel Place n’a jamais craint l’avant-garde.