Le fils de l’homme, Jean Baptiste Del Amo (par Martine L. Petauton)
Le fils de l’homme, Jean Baptiste Del Amo, Folio, mars 2023, 288 pages, 8,70 €
« Le faucon lance un cri strident, fond en piqué sur une petite proie quelque part dans la plaine. Alors, le jeune chasseur se penche et ramasse au sol sa sagaie ».
Le prologue – époustouflant – nous bascule dans un moment du Paléolithique, suivant un clan de chasseurs dans lequel il y a – déjà – un père et son fils. L’écriture est parfaite, précise et sobre à la fois, économe, mais tout est là, comme dans une scène cinématographique, jusqu’aux bruits, aux odeurs. Quand on fermera le livre et l’histoire du père, de la mère et du fils, quelque part dans un coin de montagne à notre époque, on restera dans le même récit et l’atmosphère semblable, servis par l’écriture superbe de Del Amo : l’homme face à ses obstacles, la nature toute puissante, la filiation, la fidélité et l’importance des clans.
Dans la famille du livre, un triptyque sans nom ni prénom, il y a le gamin, sa mère simple employée qui l’élève seule, beaucoup d’amour, mais taiseux de part et d’autre, un quartier ouvrier dans une petite ville en bordure de montagnes ; le père, dont on ne parle pas, est parti il y a longtemps… Voilà qu’il revient, ému de retrouver son fils et désireux de reconstituer la famille ; la mère est plus réservée. Rien de précis n’est dit – le mode discours et les dialogues ne font quasiment pas partie de l’histoire –, mais le lecteur comprend aux regards échangés, aux larmes effacées, à une porte claquée. Le fils, « frêle carrure d’un enfant de neuf ans », doit construire son identité en saisissant les bribes du récit familial. Le projet du père est d’emmener la famille en montagne, pour l’été dit-il, dans une ruine à retaper qui lui vient de son père – endroit on ne peut plus solitaire, éloigné, voire coupé de tout. Très vite, le trio s’incarne en ce père, dominant, et incroyablement directif, la mère qui subit, n’ose rien, comme bridée – on saura pourquoi plus tard –, et le gamin ravi de sa soudaine liberté et des mille découvertes de la nature puissante et mystérieuse qui les entoure. Très peu de différences premières entre cette vie et celle du paléolithique du prologue. Dans un huit-clos « à l’extérieur », les rôles se modifient ; face à la relation fusionnelle mère-fils, le père veut s’installer comme initiateur – chasser, reconnaître les arbres ou les constellations –, et pourvoyeur de valeurs dites viriles. D’autres récits s’intercalent peu à peu, comme des pages illustrées dans un registre différent : le père et son propre père, à la fois le contre-modèle et progressivement, le décalque qui s’impose ; la vie d’avant le fils, du père et de la mère, tranchée par une trahison d’importance. Tout, en flashs précis mais concis, où les gestes et les visages – une partie du moins – sont toujours éclairés par la lumière de cigarettes, en un clair-obscur qu’on avait déjà loin autour des chiches feux préhistoriques.
Dans la dernière partie du récit, les registres changent : il y a maintenant quelque chose d’un western sans musique, solitaire et puissant : le père, sa vengeance, sa folie obsessionnelle, tissant autour des siens une toile qu’il veut définitive. Le dernier chant de cet étrange opéra est une chasse qui nous ramène à la poursuite par le clan des chasseurs de la chevrette paléolithique, qui échoue faute de moyens. Comme un passage de témoins entre celui qui tenait la sagaie et celui qui tient le revolver, un regard par-dessus tous les temps :
« Il n’entend pas le fils quitter le sous-bois où il s’est tenu en embuscade, il ne l’entend pas non plus s’avancer à pas de loup. Il redresse la tête sans surprise, se tourne lentement pour contempler de ses yeux fous et las, le canon pointé sur sa poitrine. Le garçon tient la crosse à deux mains et ne cille pas, son regard brille d’une ancienne rage, familière et depuis trop longtemps contenue… ».
Martine L Petauton
Jean Baptiste Del Amo est né en 1981. Tous ses romans se sont vu décerner des prix importants.
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