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Les Chroniques

L’Art de la mémoire, Frances A. Yates (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal , le Jeudi, 27 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

L’Art de la mémoire, Frances A. Yates, Folio, avril 2022, trad. anglais, Daniel Arasse, 640 pages, 14,90 €

 

La légende veut que le pharaon à qui fut présentée l’invention de l’écriture s’en indigna, car là où le scribe inventeur voyait une possibilité d’affranchir l’être humain des limites de sa mémoire, le roi y voyait une perte de celle-ci. Ce pharaon serait aujourd’hui horrifié car est arrivé à la mémoire humaine bien pire, selon sa croyance, que l’écriture : l’externalisation de la mémoire vers le numérique, cette délégation d’une partie des capacités mémorielles vers un disque dur ou vers le cloud. Pour faire simple, l’humain doit désormais juste mémoriser un chemin vers l’information et la nature de celle-ci, mais plus l’information en question ; de façon caricaturale, c’est se souvenir du dossier dans lequel sont conservées les photos de vacances, mais plus des détails des vacances en question. Et si le support numérique est perdu, le souvenir est perdu, c’est aussi simple que cela, puisque le cerveau s’est en quelque sorte déchargé de la nécessité mémorielle vers ce support, physique ou virtuel.

Triste Boomer, Isabelle Flaten (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 26 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Triste Boomer, Isabelle Flaten, éd. Le Nouvel Attila, janvier 2022, 200 pages, 18 €

 

Isabelle Flaten nous présente dans son nouveau roman, Triste Boomer, publié en janvier 2022 aux éditions Le Nouvel Attila, sous forme d’une parabole, une vision féroce et ironique du monde contemporain. Pour cela, elle invente une forme surprenante d’écriture. Elle délègue à des objets inanimés le rôle de doublure comme dans un film en langue étrangère. L’auteur pourrait reprendre à son compte cette question qu’énonce Alphonse de Lamartine à la fin du poème Milly terre natale :

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme

Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? »

Ces deux voix vont conduire le lecteur dans une aventure qui débute à un moment précis de la vie des deux personnages essentiels et qui va dérouler, au fil des pages, toute leur histoire. Celui-ci entre donc dans la narration de biais comme dans une fable insolite. Les personnages ne prennent la parole en leur nom propre qu’à de rares moments lors d’événements d’une importance exceptionnelle.

Les Hommes tissent le chemin, Bernard Grasset, éditions Soc & foc (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 24 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Poésie

Les Hommes tissent le chemin, Bernard Grasset, éditions Soc & foc, peintures de Jean Kerinvel, 2014, 12 €

 

Le voyage des signes

L’ouvrage encore assez récent que signent Bernard Gresset et Jean Kerinvel, est bâti sur une collaboration de deux formes artistiques : l’écrit et l’art plastique. Ici, les deux auteurs sont à égalité, le poème suggérant le texte, et la peinture produisant le récit de l’écriture. Tous deux représentent des expressions capables de faire croître l’homme, de nous autoriser à revenir à une relation spirituelle tout autant par le voyage, sorte de bulle immobile, que par l’action de l’art. Relation à la contemplation, celle de la nature, de l’art, penchant sur le besoin d’agrandissement de notre habitation humaine. Car l’être humain ne finit pas, toujours pris entre les deux tangentes de la matière et de l’esprit, du corps et de la pensée. L’être, son ontologie, dépassent le cadre narcissique d’un Je susceptible d’être aimé pour lui-même, mais un Je qui questionne le Je, le Je-suis-je de Parménide.

Tout autre chose que la nuit, Recueil de nouvelles, Joëlle Pétillot (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 21 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Nouvelles

Tout autre chose que la nuit, Recueil de nouvelles, Joëlle Pétillot, éditions Fables Fertiles, juin 2022, 144 pages, 16,50 €

 

Le recueil de nouvelles de Joëlle Pétillot, Tout autre chose que la nuit, paru cette année aux éditions Fables Fertiles, dirigées par Guylian Dai, porte un titre énigmatique, qui peut, de prime abord, déconcerter. Pourtant, nous appréhenderons au fil de notre lecture ce qui sépare chacun des protagonistes mais aussi ce qui les rassemble.

C’est ainsi que nous, lecteurs, sommes invités à entrer dans sa sphère de prédilection : l’attachement aux humbles. C’est pour cette raison que cette écrivaine s’ingénie à visiter les trajets de vie de gens ordinaires pour, à chaque fois, débusquer les instants qui contiennent de l’extraordinaire, de l’imprévu, du surprenant, du fortuit, du singulier et de l’universel. Elle capte avec ferveur et un regard particulier des existences, entre passé et avenir, entre jeunesse, maturité et vieillesse, entre mémoire et oubli, entre vie et mort, entre bienveillance et indifférence, entre foule et solitude, entre soi et les autres, entre tempête dans un crâne et accalmie, entre l’ordinaire et l’insolite, entre le plein et le vide, entre l’amour et l’amitié, entre tourment et sérénité.

Ainsi parlait André Gide, Dits et maximes de vie, Gérard Bocholier (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Jeudi, 20 Octobre 2022. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Anthologie, Arfuyen

Ainsi parlait André Gide, Dits et maximes de vie, Gérard Bocholier, Arfuyen, mai 2022, 176 pages, 14 €

 

 

La question qu’on pose ici est très simple : comment Gide peut-il en même temps haïr le mensonge et révérer la poésie ? Autrement dit : comment s’en tenir à la vérité dans l’irréel (car ce que la poésie rend réel, elle ne le tient en tout cas pas de lui) ? Car le mensonge lui est odieux – mentir, dit Gide, c’est jeter l’interlocuteur sur un terrain où le libre examen lui sera impossible, car on ne peut pas considérer librement ce qu’on ignore être faux – et la poésie lui est pourtant indépassable. Mentir, c’est enrayer l’esprit critique d’autrui, car on ne juge sainement que là où l’on peut contrôler (enregistrer, et rectifier) sa propre distance à la vérité, et toute victime – s’ignorant telle – d’un mensonge en est empêchée. Mais comment un poète ne mentirait-il pas, puisque tout récit se façonne, toute métaphore est méandre et diversion, et toute inspiration jaillit d’un (peu sécurisable) amont du réel ?