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Les Chroniques

Monde arabe : les racines du mal, Bachir El-Khoury, par Gilles Banderier

Ecrit par Gilles Banderier , le Vendredi, 29 Juin 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

Monde arabe : les racines du mal, Bachir El-Khoury, Actes Sud Sindbad, février 2018, 252 pages, 22 €

 

On peut à présent le déclarer avec l’absolue sûreté du coup d’œil rétrospectif, le « printemps arabe » a été un échec cuisant, à la mesure des espoirs qu’il a suscités. L’étincelle qui mit le feu aux poudres fut (sans mauvais jeu de mots) le suicide, dans des circonstances atroces, d’un jeune marchand de légumes ambulant, Mohamed Bouazizi. De ce personnage, un des plus importants de l’histoire arabe contemporaine, il n’existe guère de photographies, si ce n’est celle d’une momie agonisante allongée sur un lit d’hôpital, partiellement recouverte d’une sorte de plaid rouge, qu’on imagine bien dans une maison de campagne, mais qui apparaît étrangement incongru dans un service des grands brûlés. Présent sur le cliché, le président Ben Ali se doutait-il que ce corps détruit le ferait chasser du pouvoir, aussi efficacement que des milliers de soldats armés fomentant un coup d’État militaire ? Le geste de Mohamed Bouazizi a peut-être d’autant plus frappé les esprits que l’immolation par le feu est un mode de suicide et de protestation étranger au monde arabe. Ce geste désespéré fit des émules à travers la Tunisie, par un phénomène mimétique, avant que la contestation ne s’étende bien au-delà.

Vinegar Girl, Anne Tyler, par Yasmina Mahdi

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 27 Juin 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

Vinegar Girl, Anne Tyler, Phébus, mai 2018, 224 pages, 19 €

La dernière musaraigne

Vinegar associé à d’autres termes comme piss and vinegar est la transcription familière de « désagréable, arrogante, aigre », et nous pouvons traduire vinegar girl comme fille à mauvais caractère. En quelques phrases, le décor est planté, et là est tout l’art de ce roman. Ainsi, dès les premières lignes de Vinegar Girl, l’on part de la partie traditionnellement réservée aux femmes, la maison, le jardin, la cuisine – l’espace domestique –, et plus tard, la petite école. Anne Tyler, l’auteure, détaille les occupations humaines et les relations interpersonnelles et met en perspective les rapports père-fille tranchants, leurs rangs sociaux inégaux : un spécialiste des maladies auto-immunes et une simple assistante maternelle ; anatomie d’un ratage ? Je cite ce passage touchant qui me semble partagé par toutes les écoles du monde : L’école occupait le sous-sol (…) les salles étaient ensoleillées et agréables, dotées de doubles portes donnant directement sur la cour. Tout au fond du bâtiment, à l’opposé des portes, une cloison avait été montée pour créer une salle des professeurs où les vieilles dames passaient de longs moments à siroter des tisanes en échangeant sur la diminution de leurs capacités physiques. Les assistants s’aventuraient parfois dans cette salle pour s’autoriser eux-mêmes une tasse de thé ou utiliser les toilettes réservées au corps enseignant, avec leurs lavabos et leurs sièges à hauteur d’adulte.

Graffiti Palace, A.G. Lombardo, par Yann Suty

Ecrit par Yann Suty , le Lundi, 25 Juin 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

Graffiti Palace, A.G. Lombardo, Seuil, mai 2018, trad. anglais (USA) Charles Recoursé, 400 pages, 22 €

 

La mythologie reste une source d’inspiration inépuisable pour nombre de romanciers, cinéastes ou scénaristes. Elle est si riche, elle semble avoir inventé toutes les situations possibles et imaginables que le rôle d’un créateur n’est plus que d’en donner son interprétation, en tentant de se la réapproprier avec plus ou moins de talent. Parfois, l’emprunt est subtil et ne se découvre qu’après avoir détricoté les fils de la narration. D’autres fois, les allusions sont particulièrement flagrantes, voire insistantes, comme un graffiti beaucoup trop chargé (pour établir un lien avec la thématique du roman de A.G. Lombardo). Graffiti Palaces’inscrit clairement dans la seconde catégorie en s’emparant du mythe d’Ulysse pour une nouvelle odyssée qui se déroule cette fois-ci en 1965 à Los Angeles, au cours d’un été qui n’en finit pas, alors que la ville vient de s’embraser suite à une arrestation un peu trop musclée d’un Noir par les forces de police.

« J’essaye de rentrer chez moi et des gens essayent de m’en empêcher ».

Hommage à Philip Roth (4) - Exit le fantôme, par Léon-Marc Levy

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 21 Juin 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

Exit le fantôme, Traduit de l'américain par Marie-Claire Pasquier

Philip ROTH n’aura jamais obtenu le prix Nobel de littérature. Il a fait bien mieux, il nous a offert une des plus belles œuvres romanesques américaines et, ici, un de ses plus beaux romans. « Exit Le Fantôme » est un bijou de mélancolie, d’humour (bien sûr avec Roth !), d’amour de la vie et des femmes (avec Roth !). C’est aussi, et c’est surtout, un formidable moment de réflexion aux sources même de l’acte d’écriture.

Zuckerman, le héros et le double de Philip Roth depuis toujours, est de retour à New-York, après un exil volontaire et rural de onze ans. Il est physiquement diminué (incontinent et impuissant à la suite d’une opération de la prostate), moralement détaché des choses de ce monde et en particulier de toutes ces fadaises urbaines et mondaines qui font courir les new-yorkais en tous sens (des scoops littéraires aux expos à la mode, en passant par les passions déchaînées qui marquent la deuxième élection de George W. Bush, véritable désastre planétaire aux yeux de l’intelligentsia de NY, accablée). Zuckerman est désabusé, réfugié dans son monde intérieur, stupéfait par les robots à téléphones portables qui se déplacent partout devant lui dans les rues.

La Styx Croisières Cie (4), par Michel Host

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 21 Juin 2018. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

« Ma voisine vient frapper à mon huis. Je lui ouvre : – Qu’y a-t-il, ma bonne Marthe ? – Monsieur Jules, ce matin on a trouvé mort notre voisin Delavigne. – Eh bien, quoi ? Il était en âge, non ? – C’est vrai, mais on l’a trouvé sous son lit. – Ça, ça ne m’étonne pas, il nous parlait sans arrêt de son lit de mort… Il aura pris peur ? Le grand naïf aura voulu jouer à cache-cache avec Mme La Faucheuse !

Jules de Montalenvers de Phrysac, Livre de mes Mémoires

 

Lµ 1. Cette plaisanterie de l’épigraphe, j’en tiens l’idée de la lecture de Le livre contre la mort, d’Elias Canetti. Le grand penseur, dès les premières pages, s’élève contre ce scandale de la mort appliquée aux humains sans qu’il y ait là apparence de raison. Il le fait avec le sentiment d’un désordre et d’une injustice scandaleux, mais souvent aussi avec cet humour détaché qui n’est qu’à lui (présent de l’indicatif, car un écrivain, même s’il s’est persuadé du contraire, ne meurt pas !) : « À chacun de ses anniversaires, il célébrait un petit service funèbre à sa propre mémoire, car n’aurait-il pas pu être déjà mort, après tout ? ».