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Les Chroniques

Philosophie du vendredi sans fin, par Kamel Daoud

Ecrit par Kamel Daoud , le Mardi, 28 Août 2018. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

 

Tous les Arabes sont avalés par une seule baleine gigantesque, à leur naissance, un par un, les mains derrière le dos, le prénom entre les dents. Une baleine géante qui se promène dans l’Océan de l’existence actuelle et où ils tournent en boucle, marchant les uns sur les autres, en collant parfois l’oreille à la paroi stomacale, pour les meilleurs de leurs astronautes, ou en expliquant le monde à partir d’un gargouillis de cétacé, pour les plus idiots.

Et dans ce ventre tragique, il est obligatoire pour chacun de revivre l’aventure étrange de Younès, le prophète sorti vivant du ventre de son propre monstre intime, et connaître le même sort de l’homme assis, nu, sous un arbre étranger, tremblant de fragilité, levant les yeux pour une fois non pas sur l’obscurité de l’estomac animal, mais vers la vraie voûte étoilée. S’interrogeant rarement de façon correcte sur le mystère de la vie dans lequel nous n’avons encore envoyé ni cosmonaute ni satellite de communication. Seulement des prières et des comités pour surveiller le croissant des lunes les veilles du ramadan.

Si j’étais une souris de Mapi et de Susumu Fujimoto, par Yasmina Mahdi

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mardi, 28 Août 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, La rentrée littéraire, Jeunesse

Si j’étais une souris de Mapi et de Susumu Fujimoto, Grasset Jeunesse, coll. Lecteurs en herbe, août 2018, 40 pages, 15,50 €

 

Bestiaire du zodiaque

L’appellation « illustration » a une longue histoire, et est soumise à controverse. Pour ma part, j’opterai pour un propos non partisan en plaçant la catégorie de l’illustration dans l’œuvre d’art, c’est-à-dire à l’intérieur de l’histoire de l’art et y corroborant largement. Je rappellerai que bien des plasticiens contemporains puisent dans le registre de l’enfance, l’autobiographie, et utilisent des formes épurées, à la technique de la gouache, des crayons de couleur ou du feutre. Ainsi, toute œuvre d’art plastique est sous-tendue par un propos, alimentée par une figure – la figure prise dans le sens de représentation, qui fait image. Toute production artistique est donc le fruit d’un ou de plusieurs artistes, historicisée par un contexte intellectuel, économique, moral et politique, soumise à des règles esthétiques et plastiques.

Platine, Régine Detambel, par Pierrette Epsztein

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Platine, Régine Detambel, Actes Sud, mai 2018, 192 pages, 16,50 €

Platine, le plus cher de tous les métaux, le plus précieux, un métal rare, mystérieux, inaltérable, relativement malléable, très maniable. Quelle force a ce mot solitaire, titre du dernier roman de Régine Detambel qui nous conte l’existence intense et agitée de turbulences de Jean Harlow. Le récit s’attache à nous faire pénétrer dans l’envers d’un décor trop flamboyant pour ne pas cacher les failles, les béances, les fêlures de la femme, littéralement adulée durant les quelques années de sa courte vie. Malgré le triomphe fulgurant et incontestable de la vedette, le lecteur réalise très vite que la rutilance de ce succès est en fin de compte bien dérisoire. Cette chronique dorée ne s’arrête pourtant pas uniquement à l’histoire d’une des plus grandes stars des années 1930. Sa viséeest beaucoup plus ambitieuse et déborde largement ce cas tout à fait singulier pour atteindre un questionnement bien plus universel.

Jean Harlow, de son vrai nom Harlean Carpenter, naît le 3 mars 1911 à Kansas Citydans l’état du Missouri. Elle ne vient pas d’un milieu modeste. Elle est la fille unique du docteur Carpenter, chirurgien-dentiste, homme faible, et d’une jolie blonde potelée, Jean Carpenter, son épouse qui l’écrase. Très vite le couple fait chambre à part. Et la mère d’Harlean trouve sa consolation dans le bourbon et le cinéma où elle se rend avec sa fille et rêve, devant les beaux acteurs bien musclés, de faire partie un jour de ce monde fabuleux.

Sous les branches de l’udala, Chinelo Okparanta, par Yasmina Mahdi

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, La rentrée littéraire

Sous les branches de l’udala, Chinelo Okparanta, Belfond, août 2018, trad. anglais (Nigéria) Carine Chichereau, 384 pages, 22 €

 

Dans le roman, Sous les branches de l’udala de la jeune auteure Chinelo Okparanta (née en 1981), le récit est campé à Ojoto (état d’Anambra au Nigéria). On y découvre des espèces rares de minuscules fleurs d’ixora en formes d’étoiles, de bois d’iroko et d’udalad’anacardiers de palmiers à huile, la nourriture locale de garide pois de terre, d’akamu et de feuilles d’oka ; une belle région, où « les arbres et les buissons devenaient alors aussi irréels qu’un mirage, et le soleil une tache indéfinie dans le ciel. (…) C’était le cycle normal des choses la saison des pluies, suivie par la saison sèche, et l’harmattan qui se repliait sur lui-même ».

D’emblée, je suis pénétrée par une sorte d’écriture messianique, entrecoupée de paraboles, d’exemples bibliques, refuge contre la violence d’hommes en armes qui abolissent la tranquillité de ces paysages paradisiaques. Ainsi, la toute jeune fille igbo, prénommée Ijeoma, se remémore l’image du père disparu, une image venue d’avant la guerre fratricide du Biafra, son « odeur de la pommade Morgan », celle du « fumet doux et épicé des akara ».

Du Golem de Prague au Cybernanthrope, par Mustapha Saha

Ecrit par Mustapha Saha , le Vendredi, 24 Août 2018. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

Le Golem de Prague ou l’ancêtre du robot

Prague en hiver exhale des clartés brumeuses de pratiques occultes, des musiques ensorceleuses d’étranges cultes, des traînées luminescentes d’invisibles catapultes. Des silhouettes fantomatiques s’engouffrent dans des trappes. Les pierres se subliment et se sanctifient, s’illuminent et se codifient, s’incarnent et se personnifient. Les œuvres de dissolution, de purification, de transmutation s’accomplissent dans l’obscurité des temples secrets. Dans le dédale des ruelles phosphorées par les clochetons de la Tyn, les lueurs dansantes et les aspioles pensantes, s’évaporent les contours de l’espace et du temps, se promènent, dès la tombée de la nuit, les fantômes suprasensibles du passé et les esprits invisibles du présent, se libère l’imaginaire des entraves de la raison, s’incarnent des êtres surgis du néant dont le golem devient la figure emblématique. Franz Kafka confesse : « Une fois de plus, j’en suis certain, je peux entendre le doux battement des tambours sous la terre, et je ne suis toujours pas en mesure de trouver une explication à cet étrange phénomène ».