Prix de la Vocation 2018, les livres en lice (3) : Sauver les meubles, Céline Zufferey et Le réconfort, Pierre Daymé (par Sylvie Ferrando)
Sauver les meubles, Céline Zufferey, Gallimard, août 2017, 240 pages, 19 €
Le personnage principal de l’histoire est un photographe débutant, de sexe masculin, un vrai narrateur et non un substitut de l’auteur : il ne s’agit pas ici d’autofiction, mais plutôt de conversations et de sous-conversations. Le « je » narre l’entrée dans le métier de photographe, non pas d’art mais pour la consommation de masse (les cuisines), d’un jeune homme, qui prend sur les sites de rencontre le pseudo de FIRE.
Pour échapper à ses frustrations de professionnel débutant, et à la compagnie fort peu exaltante d’Assistant, de Stagiaire et de Sergueï-le-Styliste, le narrateur entretient une liaison, d’abord entièrement satisfaisante, avec Nathalie, la collègue qui pose dans les décors qu’il photographie : « Après le sexe, elle pose sa tête sur mon épaule. C’est comme ça que l’archétype de l’homme stable et heureux qu’on promet dans nos photos finit sa journée : dans un lit à deux places, une belle fille entre les bras ».
Des phrases courtes, hâchées, parfois averbales, expriment le quotidien de FIRE.
« Une fille avec deux bières manque de les renverser sur moi.
La rue.
Mon immeuble.
L’escalier.
A la première volée de marches, je me sens mal. M’assieds. Nausée.
– Fiston ?
– Quoi ?
– Il faut que tu viennes ».
Et puis, d’un monde au ton fleur bleue ou presque, on verse dans un monde parallèle : celui de la pornographie amateur, avec la création d’un site érotico-esthétisant où les talents du narrateur sont mis à profit. Une entreprise excitante, qui correspond à ses désirs, à son envie d’aventure(s), de part d’ombre, de secret. Page après page, l’enchevêtrement des deux univers forme alors un assemblage à la fois hétéroclite et poétique, si bien qu’on se rend compte qu’il s’agit, par-delà la narration, d’une critique de la société de consommation, dans la lignée des Choses de Georges Pérec. Sauver les meubles : non seulement par l’exercice de son métier, d’un métier concret et bien fait, mais aussi sauver son âme, sauver sa peau par le sexe et le maintien du désir.
Sylvie Ferrando
Céline Zufferey, diplômée de la haute école des Arts de Berne en création littéraire,a 25 ans. Sauver les meubles est son premier roman.
Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018
Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation
Le réconfort, Pierre Daymé, Fayard, janvier 2018, 220 pages, 17 €
Le réconfort est une histoire d’amour entre trois jeunes gens. Un amour qui n’est pas partagé : X (le narrateur) aime Y (Quentin) qui aime Z (Kristian Hansen). L’équation de l’Andromaque de Racine s’applique tout aussi bien aux homosexuels. Toutefois, X va feindre d’aimer Z, pour à la fois approcher Y et faire en sorte que Z quitte Y. Le mystère de cette relation triangulaire qui prend place entre Malmö (Suède), la Corse et Berlin, s’épaissit puis se dévoile : une histoire de jeunesse dynamisante qui pourrait être anodine et agréable s’il n’y avait le désamour, la douleur de l’amour refusé, l’amour oublié, l’amour qui ne convient pas, l’amour non partagé, et puis la mort qui rôde et la culpabilité qui lui est attachée. « Et j’étais terrassé par l’injustice du verdict que me renvoyait son regard, l’évidence que, pour lui, je n’avais pas compté. Pire que l’indifférence : l’oubli, pur et simple ».
A la recherche de l’amour fulgurant qu’il vouera à Quentin, X se contente de relations éphémères, à l’image des draps de son lit qu’il lave tous les jours. Avant Quentin, il y eut pourtant Alexandre, et après Quentin, Victor, parmi une multitude de rencontres que la haute technologie des réseaux sociaux rend possibles. Que retient-on d’une vie trop tôt disparue, d’un partenaire de quelques semaines, de quelques mois, perdu puis retrouvé, par hasard, au bout de quelques années ? Juste le réconfort. Le réconfort, pour le narrateur X, c’est la présence tendre et affectueuse de quelqu’un auprès de soi, dans les moments où le moral est en berne. C’est un succédané de l’amour. Le réconfort subsiste même quand on n’est plus épris, que la passion a disparu et que l’habitude a pris sa place : « Il m’a déshabillé et a passé un gant gorgé d’eau chaude sur mon torse et dans mon dos, doucement, comme on nettoie une plaie encore à vif avant de la panser. Il m’a emmitouflé dans une serviette épaisse et tiède qu’il avait posée sur le radiateur et m’a porté jusqu’à son lit. Je me suis laissé faire et j’ai fermé les yeux sur ce besoin de réconfort impossible à rassasier ». Le réconfort demeure même lorsque l’on a quitté son partenaire, et les dernières lignes sur la légèreté d’une relation réconfortante sont éloquentes : « Entre les poupées aux membres dispersés, les carnets intimes aux inavouables secrets, les photos de famille aux visages raturés et les jeux de cartes incomplets, j’ai retrouvé, intacts, les morceaux d’un amour refusé. Aujourd’hui, entre mes mains qui le raccommodent, je presse contre mon cœur un amour qui ne m’a jamais semblé aussi léger. Aussi réconfortant ».
Le réconfort comme un objectif de vie à long terme, au-delà du sexe, en-deçà de l’amour.
Sylvie Ferrando
Pierre Daymé vit et travaille à Paris. Le réconfort est son premier roman.
Sélection du Prix littéraire de la vocation, 2018
Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation. @FdtVocation
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