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La Une CED

Préface à ce livre, Stéphane Sangral (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 10 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Préface à ce livre, Stéphane Sangral, Galilée, novembre 2019, 264 pages, 17 €

 

Le livre vertige

Le dernier livre de Stéphane Sangral pourrait être assimilé à un vertige, vertige du reste qu’il utilise lui-même comme métaphore. Et cela tient à l’impression du lecteur et, par voie de conséquence, de l’auteur, qui se trouvent à la fois en surplomb et comme en déséquilibre devant les concepts et le saisissement d’une ivresse, qui touchent ainsi mieux aux capacités troublantes de l’intellect. Cette impression mêle, de cette manière, l’intérêt pour l’intelligence et une sorte d’inquiétude. J’ai cru deviner encore une question qui se formule longuement au fil des pages, interrogation qui trouve partiellement une réponse, je crois, vers la fin de ce livre assez volumineux. J’y reviendrai. Du reste, et très généralement, j’ai trouvé que l’auteur était ici plus impliqué, plus présent avec sa personne physique, et plus désespéré en un sens, mais davantage lucide et faisant preuve d’une belle maturité.

Ici n’est plus ici, Tommy Orange (par Laurent Bonnet)

Ecrit par Laurent LD Bonnet , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ici n’est plus ici, Tommy Orange, Albin Michel, Coll. Terres d’Amérique, août 2019, trad. Stéphane Roques, 352 pages, 21,90 €

 

Savoir d’où on vient, sans savoir où on va…

Savoir d’où on vient pour savoir où on va, jamais adage – un quasi-cliché – n’aura été aussi fortement démenti ; jamais évidence n’aura été autant pulvérisée, qu’à la lecture du premier roman de Tommy Orange, Ici n’est plus ici.

Tony Loneman, Dene Oxendene, Opale Viola Victoria Bear Shield, Orvil Red Father et d’autres… Douze femmes et hommes qui constituent l’ossature principale des personnages de ce roman choral, tous issus des populations indiennes californiennes, émigrant  génération après génération de la réserve à la ville, savent tous parfaitement d’où ils viennent. Hélas : « Certains d’entre nous ont grandi avec des histoires de massacres… à Sand Creek, on raconte qu’ils nous fauchaient à coup d’obusier… Avec une milice de volontaires, le colonel Chevington a dansé avec des membres arrachés dans ses mains, des toisons pubiennes de femmes, ivre, il a dansé, et la foule rassemblée devant lui est allée jusqu’à l’applaudir et rire avec lui. Ce fut une célébration ».

Eloge indocile de la psychanalyse, Samuel Dock (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Jeudi, 09 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Eloge indocile de la psychanalyse, Samuel Dock, éditions Philippe Rey, septembre 2019, 431 pages, 20 €

 

Alors que la psychanalyse subit actuellement des assauts violents de la pensée conformiste, Samuel Dock nous offre un voyage sincère sous forme d’abécédaire palpitant sur cette « psychologie des profondeurs ». On en ressort tout ébouriffé et enthousiaste… Loin de sentir la naphtaline, Samuel revigore l’indocilité de la psychanalyse que l’on avait oubliée. Il y ressuscite l’inquiétante étrangeté qu’avait su créée Freud lors de sa théorie explosive et adoucit les querelles de chapelle (ou plutôt de divans) entre les freudiens, les lacaniens, les kleiniens ou les jungiens… Son essai refuse le catéchisme dogmatique, les remparts artificiels créés par les différentes obédiences psychanalytiques, disons-le franchement : l’élitisme abscons. Il libère la psychanalyse contemporaine de sa tour d’ivoire bourgeoise, en rendant la psychanalyse lisible et accessible, en prenant même le risque de se dévoiler lui-même.

Retour à Reims, le Retour (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Le texte « inclassable », de Didier Eribon, paraissait il y a dix ans chez Fayard. Texte en quelque sorte trans/genre à la fois autobiographie, essai sociologique et politique, parcours intellectuel et témoignage sur la France ouvrière contemporaine de l’auteur. Thomas Ostermeier, directeur artistique de la Schaubühne à Berlin, s’est emparé de cet objet littéraire si particulier pour lui donner forme sur un plateau théâtral d’abord en allemand en 2017 puis en 2019 en français, créé au théâtre de Vidy à Lausanne. Il s’agit d’un « d’après le texte », d’une mise en forme dramatique « basée » sur le livre de D. Eribon.

Il n’est absolument pas rare que des œuvres littéraires échappant, à l’origine, au genre dramatique, soient adaptées pour la scène. Certains auteurs ont pu même, comme le grand Tchekhov, aller de l’écriture d’une nouvelle à celle d’une pièce. D’autres réalisations scéniques aux sources diverses (contes, correspondances, romans, etc.) ont donné lieu à des créations plus ou moins fidèles à l’œuvre-mère. Pour le pire et le meilleur.

La phrase de monsieur Proust – Histoire dévote (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mardi, 07 Janvier 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

La phrase de monsieur Proust est dense, lente, nombreuse. Elle ressemble au mouvement de ses fines mains dont s’est souvenue Céleste Albaret, à sa conversation dont nous avons tant de témoignages. Mais elle n’a en vérité aucun rapport avec ses mains ou sa conversation : n’écrivent comme ils parlent que les écrivains médiocres – plût au Ciel que nous parlions quelquefois comme nous écrivons. On peut la comparer à une promenade en forêt quand s’ouvrent de nouveaux sentiers ; à une marche sur une crête d’où s’aperçoivent des trouées où le vent plonge. Il arrive qu’on s’y perde. On aurait scrupule à l’interrompre. On ne la comprend pas toujours. On lui demande alors de s’expliquer, de se répéter, ce à quoi elle renâcle, aussi polie soit-elle. Elle est à l’occasion méchante. Elle n’est pas systématiquement gaie. On admire à d’inégales fréquences ses lointains mélancoliques, ses gloussements moqueurs. Comme les maisons de nos vieilles tantes dans nos enfances imaginaires, elle a des entresols et des paliers qui demeureront inexplorés. Il y a des pièces pour y accueillir nos camarades, d’autres pour y boire un tilleul, d’autres encore pour y dormir ou s’y livrer à des amusements réprouvés par la Morale. Ses odeurs de fleurs séchées, de pré humide, de cave, de grenier provincial, d’intérieur d’église, de choses anciennes que l’on n’a pas aérées depuis des mois comblent ou rebutent.