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La Une CED

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 11 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Narcisse et Écho, Markus Lüpertz, L’Atelier contemporain, juin 2020, 608 pages, 30 €

 

Écrire : une expérience

Parcourir l’ensemble des presque 600 pages des écrits de Markus Lüpertz est une possibilité donnée au lecteur de suivre à la fois le destin de la vie d’un peintre, et voir se dérouler une vie d’artiste au milieu de son expression qui évolue lentement vers une forme de discours versifié. Pour le dire tout de suite, j’ai aimé au fil du temps et des pages comment se construisait un monde arc-bouté et aboutissant à une poésie, une forme de vers libres. Cette méthode est d’autant plus intéressante qu’elle est capable de mettre l’accent aussi bien sur les conceptions de l’auteur au sujet de la peinture, évidemment, mais aussi au sujet du théâtre, de disserter sur la philosophie, ou faisant l’apologie de certains artistes, allant jusqu’à la poésie comprise comme poésie pour elle-même. Dès les premières pages j’ai vu que ce livre était avant tout le témoignage d’une expérience originale, avec ses risques, ses angoisses, pari pascalien, faisant état d’une foi dans l’écriture, et pariant sur ce choix, d’un artiste se formant en en passant aussi par le soin et les servitudes d’écrire. Puis j’ai été surpris de retrouver ce terme d’expérience, auquel s’ajoutait le mot universelle, à la toute fin de l’ouvrage. Aventure de mots donc qui souligne et détoure l’activité du peintre.

L’amulette (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Lundi, 11 Mai 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

« Tu sais qu’un Président a dû batailler pour t’imposer, toi » adressa-t-elle en son for intérieur à la Pyramide. Car si l’architecture du Louvre, comme celle des bâtiments patrimoniaux en général, la laissait indifférente, elle se passionnait pour l’implacable volonté de ses commanditaires successifs à laisser d’eux une marque monumentale. L’affleurement des panneaux de verre, quand tous avaient accumulé les étages, était une provocation autant esthétique que politique du XXème siècle. Et quelle plus malicieuse trace d’amours secrètes que cet ajout translucide ?

Une file patientait déjà ; il lui fallut attendre son tour. Henri IV, quelques Louis et les Napoléon s’étaient immortalisés dans ces galeries, colonnades et autres tours. Était-ce à dire que les anonymes comme elle étaient plus mortels que les grands hommes ? Qu’était la mort si elle n’effaçait pas tout de soi ? Le temps et ses leurres donnaient le vertige.

Bien que très en avance, elle se dirigea directement vers le département des Antiquités égyptiennes vérifier si ce fameux Noun serait à la hauteur de l’effet escompté. Elle n’avait découvert que récemment son existence, en cherchant quelle trouvaille pourrait combler un amateur éclairé comme celui auquel elle avait donné rendez-vous.

à propos de Les Pseudonymes, Jean-Louis Mohand Paul (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 08 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Les Pseudonymes, Jean-Louis Mohand Paul, éditions Ressouvenances, 2017, 15 €

Contre l’oubli

Dans le roman de Jean-Louis Mohand Paul, le sujet est un sujet exhumé, par fragments, « des restes de traumatisme [enterrés] sous la cendre ». L’on pense au vécu d’abandonnique, concept développé par Frantz Fanon, s’appuyant sur la rupture avec le père ou la mère, ou le pays d’origine. Pour compenser la perte, le déni, des noms d’emprunts sont choisis par la personne – noms de plume pour les auteurs –, un pseudo, un autre « je », né deux fois. En lisant le début de ce récit, l’on ne peut s’empêcher de faire un lien entre la tuberculose et le coronavirus, la souffrance (la sous-France), où des malades « toussant, désincarnés (…) des Arabes aussi » sont placés en confinement dans des hospices « d’infortune ». Du flottement autour des dates (les Algériens n’ayant pas bénéficié, durant l’occupation coloniale, d’état-civil précis), des « salaires de misère », envoyés au bled, « ponctionnés pour moitié en Algérie », tout atteste de l’horrible situation du dominé. Néanmoins, il y a de la beauté, alliée ici à beaucoup de tendresse, dans les passages qui évoquent des « tapis, poteries, bijoux » colportés à dos d’hommes, de « la langue, la musique, les chansons, les mélopées » qui se « transmutent » (le terme de l’auteur), en références sacralisées du cœur de la filiation kabyle.

La mère Michel a lu - Flamme ou le travail de nudité, Didier Ayres (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Mercredi, 06 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Flamme ou le travail de nudité, Didier Ayres, éditions Arfuyen, 2014, 178 pages, 14 €

« Un chat slavo-gaulois se demande souvent si le ciel ne va pas lui tomber sur la tête » (M. de Buffon, Correspondance et collection privées)

 

« Ai-je reçu l’eau et le sel / l’épée de l’oubli où nous voulions être : la nuit de ce calme siècle / larmes où ne pas tenir : notre amitié des chiens / l’appareil de l’inquiétude ».

« Il faudrait rendre à notre séjour ici, sa nature de mystère et de merveilleux ».

Didier Ayres

 

Traversée

Ouvrir un nouveau recueil – celui-ci l’est – c’est entrer dans la forêt primaire, vouloir la traverser, se voir cerné d’essences anciennes aux parfums inconnus mais entêtants.

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Mardi, 05 Mai 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

De l’improbable, Marie-Claire Bancquart, Arfuyen, 2020, 104 pages, 12 €

 

Passage

Le recueil, que publient à titre posthume les éditions Arfuyen, de textes inédits de la poétesse et professeure Marie-Claire Bancquart, instruit diversement. Tout d’abord comme témoignage de l’agonie sublimée où ces textes prennent place, formant l’arrière-fond de la rémission temporaire d’une longue maladie en une sorte de renaissance brève, oserais-je dire. Puis, comme écriture, sachant qu’il est vain évidemment de séparer les deux bords du poème : la vie et la langue. Et pourtant, rien de morbide dans cette leçon de philosophie morale, où j’ai retrouvé la même force d’exister que dans le Sénèque des Lettres à Lucilius, empreintes des ombres de la mort, mais tournées vers la force de l’esprit et de la pensée. Et même si la mort sous-tend ces pages denses et émouvantes, on suit ce travail d’écriture, d’écriture du regain en un sens, puisque même le destin et sa frontière entre vie et trépas s’abolissent et nous obligent à réfléchir, poussent chacun à ses propres leçons de ténèbres.