Contre l’oubli
Dans le roman de Jean-Louis Mohand Paul, le sujet est un sujet exhumé, par fragments, « des restes de traumatisme [enterrés] sous la cendre ». L’on pense au vécu d’abandonnique, concept développé par Frantz Fanon, s’appuyant sur la rupture avec le père ou la mère, ou le pays d’origine. Pour compenser la perte, le déni, des noms d’emprunts sont choisis par la personne – noms de plume pour les auteurs –, un pseudo, un autre « je », né deux fois. En lisant le début de ce récit, l’on ne peut s’empêcher de faire un lien entre la tuberculose et le coronavirus, la souffrance (la sous-France), où des malades « toussant, désincarnés (…) des Arabes aussi » sont placés en confinement dans des hospices « d’infortune ». Du flottement autour des dates (les Algériens n’ayant pas bénéficié, durant l’occupation coloniale, d’état-civil précis), des « salaires de misère », envoyés au bled, « ponctionnés pour moitié en Algérie », tout atteste de l’horrible situation du dominé. Néanmoins, il y a de la beauté, alliée ici à beaucoup de tendresse, dans les passages qui évoquent des « tapis, poteries, bijoux » colportés à dos d’hommes, de « la langue, la musique, les chansons, les mélopées » qui se « transmutent » (le terme de l’auteur), en références sacralisées du cœur de la filiation kabyle.