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Les Livres

Échec et mat au paradis, Récit, Sébastien Lapaque (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 13 Décembre 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Actes Sud

Échec et mat au paradis, Récit, Sébastien Lapaque, Actes Sud, septembre 2024, 336 pages, 22,50 € . Ecrivain(s): Sébastien Lapaque Edition: Actes Sud

 

« Au cours de son adolescence passée à Vienne, c’est dans les cafés qu’il a eu la révélation du jeu d’échecs. Il incarnait pour lui un style de vie, fait plutôt de rêveries que de défis mathématiques. Il aimait ses rites, ses codes, sa dramaturgie ».

« Lors de sa rencontre avec Stefan Zweig, quinze mois plus tard, Georges Bernanos lui a peut-être rappelé la leçon de saint Thomas d’Aquin reçue de la bouche d’un père dominicain ou d’un moine bénédictin du temps de sa jeunesse : l’espoir est une passion tournée vers ce qui est difficile ».

Nous sommes au début de l’année 1942 au Brésil dans la ferme de la Croix-des-Âmes à Barbacena, où Georges Bernanos reçoit Stefan Zweig, une longue rencontre, un dialogue sans fin, dont on ne saura rien, mais que Sébastien Lapaque va imaginer ; ce sera le cœur vibrant d’Échec et mat au paradis. Dans ce dialogue lumineusement inventé, on sent poindre la profonde inquiétude de Stefan Zweig, son désarroi d’avoir perdu sa patrie, sa terre, ses amis, et de sentir l’ombre nazi le frôler, même ici au Brésil.

La farce des Damnés (Auto dos Danados), Antonio Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 12 Décembre 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Points, En Vitrine, Cette semaine

La farce des Damnés (Auto dos Danados, 1985), Antonio Lobo Antunes, Éditions Points, 1998, trad. portugais, Violante Do Canto, Yves Coleman, 330 pages, 7 € . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Points

 

Roman de la décadence – celle des suppôts de la dictature abattue – La farce des Damnés est en effet une farce burlesque, celle que joue une bourgeoisie lisboète terrorisée par la Révolution des Œillets dans laquelle ils voient le déferlement létal du communisme. La scansion « dentaire » du début du livre – des bouches truffées de dents cariées, de molaires déchaussées, d’abcès gingivaux – est métaphore du pourrissement d’une classe sociale qui a participé à l’oppression salazariste au Portugal et – on connaît le tropisme d’Antonio Lobo Antunes pour cette période – dans ses colonies. Le dentiste blasé qui explore encore et encore les cavités buccales de ses patients est au-delà de tout intérêt pour son métier, son monde, sa vie : il est l’expression ultime d’une caste à l’agonie.

Je nettoyai la cavité que le plastique avait laissée, soignai au mercurochrome les écorchures, les miasmes repoussants de cuisine campagnarde, les caries que la résine et le métal faisaient pourrir entre les dents.

Les Patientes, Sarah Stern (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 11 Décembre 2024. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

Les Patientes, Sarah Stern, éditions Des femmes-Antoinette Fouque, septembre 2024, 232 pages, 15 € Edition: Editions Des Femmes - Antoinette Fouque

 

Les malades des minorités

« Étrangères souvent dans cette banlieue pauvre, enceintes, des femmes sans doute n’allaient pas bien, qui souffraient de l’exil, de l’isolement, du dénuement, de traumatismes et d’autres maux encore ». C’est là la substance du récit et de l’expérience de Sarah Stern, née en 1967, psychiatre et psychanalyste, qui a travaillé dans un intersecteur de pédopsychiatrie à Saint-Denis, auprès d’enfants et d’adolescents, au sein d’une maternité. Les soins sont prodigués en compagnie d’un collectif pour les malades issus des minorités, c’est-à-dire des « migrantes » (nouveau terme pour les immigrées).

L’exil ne se transmet pas, il est inscrit dans la chair comme une marque indélébile. Sarah Stern va rendre compte de la réalité des invisibilisées de la ville de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis, ville pauvre, ville historique, « ville de passage ».

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 11 Décembre 2024. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Pays nordiques, Seuil

Les Ecrits, Journaux et lettres (1941-1943), Etty Hillesum, Seuil, 2008, trad. néerlandais Philippe Noble, Isabelle Rosselin, 1088 pages, 37 €

 

Etty Hillesum grandit plus vite que son ombre. Sa pleine humanité mûrit en deux ans (1941-1943), et de manière d’autant plus surprenante et émouvante qu’elle croît – en responsabilité, en justesse – déjà à peu près (historico-politiquement) condamnée, certaine de finir vite et lamentablement sa vie, comme Juive traquée de la Hollande vaincue. Bref : elle se sait grandir (d’esprit et de destin – puisque l’adolescence est terminée) pour autre chose que sa propre vie adulte (dont elle n’aura à peu près, comprend-elle, aucune chance de jouir). Son immense effort n’avait donc, consciemment, pas elle-même pour but. Une jeune femme de 27 ans, très sensuelle et infiniment vive, s’avouant – dès les premières lignes de son Journal – « je ne suis en tout cas pas mon but », cela étonne et promet.

La Part du feu, Norman MacLean (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 10 Décembre 2024. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Récits, En Vitrine, Rivages, Cette semaine

La Part du feu, Norman Maclean, Payot & Rivages, mai 2024, trad. anglais (États-Unis) Jean Guiloineau, Laure Jouanneau-Lopez, 396 pages, 23 € . Ecrivain(s): Norman MacLean Edition: Rivages

 

C’est le genre de catastrophe qui n’est la faute de personne : les circonstances forment un enchevêtrement tellement compliqué que toute responsabilité directe est diluée. Le 5 août 1949, un groupe de pompiers-parachutistes (smokejumpers) fut lancé au cœur d’un feu de forêt, dans le ravin de Mann Gulch, État du Montana. Si l’on se rappelle de leur intervention (il suffit de taper Mann Gulch dans un moteur de recherches), c’est parce que quelque chose a très mal tourné.

Ces pompiers avaient été « projetés » à proximité du feu sans disposer d’eau ou de pompes et sans autre solution pour arrêter l’incendie que de creuser des tranchées à coups de pelle et de pioche. Parachutée séparément, la radio s’était écrasée au sol (cette impossibilité de communiquer n’est pas sans évoquer ce qui se produira le 11 septembre 2001 : la police de New York et les pompiers de New York utilisant des fréquences radio distinctes et incompatibles, les pompiers opérant à l’intérieur des tours en savaient moins que les journalistes à l’extérieur).