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Les Livres

Mémoire d’éléphant (Memória de elefante), António Lobo Antunes (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 12 Mars 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Langue portugaise, Roman, Points, En Vitrine, Cette semaine

Mémoire d’éléphant (Memória de elefante, 1979), António Lobo Antunes, éd. Points, 2001, trad. portugais, Violante do Canto, Yves Coleman, 207 pages . Ecrivain(s): Antonio Lobo Antunes Edition: Points

 

Premier roman de son auteur, cet ouvrage nous jette d’emblée dans le flot des obsessions qui vont hanter l’œuvre de Lobo Antunes : l’absurdité du monde, la douleur d’être, le cauchemar de la mémoire.

Sombre roman, celui des souvenirs fracturés de la fin d’un monde, Mémoire d’éléphant se lit comme la complainte désespérée d’une âme perdue sous le poids du monde et d’elle-même. Le « narrateur » (il faudrait dire plutôt l’émetteur du discours, car il ne dit pas je), l’itératif psychiatre lisboète qui renvoie, dans les romans d’ António Lobo Antunes, à la vie de l’auteur lui-même, hait le monde et sa vie dont il n’accepte pas l’absurdité, en tant que « médecin des âmes » et en tant qu’individu privé. À travers un flux de conscience obsessionnel, entrecoupé de souvenirs disloqués, l’auteur portugais nous invite dans un dédale de pensées troubles, où la douleur se mêle à l’ironie, où le grotesque se fond dans la tragédie.

Le Rêve d’un langage commun, Adrienne Rich (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 12 Mars 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Rêve d’un langage commun, Adrienne Rich, L’Arche Éditeur, janvier 2025, trad. anglais, Shira Abramovitch, Lénaig Cariou, 176 pages, 19 €

 

Une poétique au féminin

Cet ouvrage bilingue, au titre éloquent, Le Rêve d’un langage commun (The Dream of a Common Language), présente des poèmes d’Adrienne Rich, hérités du spoken word, une technique de poésie à voix haute, réunissant « la poésie et le politique », c’est-à-dire une prise de parole active, parole « de droit, la parole vive, qui devient action par son incantation » (Claire Stavaux). Les poèmes d’Adrienne Rich, née en 1929 à Baltimore et décédée en 2012 à Santa Cruz, poétesse, essayiste, critique littéraire, professeure d’université et théoricienne féministe, sont d’une beauté saisissante. Fin 1953, elle épouse un économiste, Alfred H. Conrad avec lequel elle aura trois enfants. L’un de ses essais les plus célèbres, Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence (La Contrainte de l’hétérosexualité et l’existence lesbienne), expose sa théorie du « continuum lesbien » contre l’hétérosexisme, essai qui a eu un fort retentissement au sein de la pensée féministe – essai souvent comparé à La Pensée Straight de Monique Wittig.

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 11 Mars 2025. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres

Le français, parlons-en !, Boualem Sansal, Éditions du Cerf, septembre 2024, 188 pages, 19 € . Ecrivain(s): Boualem Sansal

 

Quoi que l’avenir tienne en réserve, Le français, parlons-en ! aura été le dernier livre publié par Boualem Sansal avant son incarcération dans les geôles de la dictature algérienne, le 16 novembre 2024 – début d’un long cauchemar. Il est difficile de dire si cette déclaration d’amour à la langue française, doublée de flèches acérées lancées à l’Algérie (« qui, de son propre chef et héroïquement, s’est jetée dans la gueule du néant grâce à quatre programmes rondement menés par son gouvernement : l’arabisation importée d’Égypte, l’islamisation importée d’Arabie, la militarisation importée d’Irak, la politique spectacle importée de Bollywood et Disneyland », p.43 ; « Les pays qui n’ont pas de langues ou qui ont trahi la leur n’ont pas d’avenir. Le pouvoir algérien l’ignorait car à sa naissance, prématurée et illégitime, durant l’été 1962, il lui manquait une moitié de cerveau » p.127), a joué ou non un rôle dans ce sinistre engrenage judiciaire, mais elle n’a certainement pas été considérée comme une circonstance atténuante. On ne saurait cependant réduire – ce que firent probablement les hiérarques algériens – ce livre à une charge, si justifiée soit-elle, contre le pays natal de l’auteur.

La Danse, Philosophie du corps en mouvement, Alexandre Lacroix (par Marjorie Rafécas-Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge , le Mardi, 11 Mars 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

La Danse, Philosophie du corps en mouvement, Alexandre Lacroix, Allary Editions, janvier 2024, 239 pages, 20,90 €

 

La danse a toujours eu un goût légèrement insaisissable pour les philosophes… Même si la danse a selon Platon une fonction éducative, la danse est loin d’être un sujet qui prête à l’abstraction. Rares sont les ouvrages philosophiques sur la danse, en dehors d’un Nietzsche danseur et Philosophie de la danse de Paul Valéry. Pourtant, bien danser revient à réconcilier l’âme et le corps. La danse semble incarner l’élan vital de Bergson, comme une force créatrice et évolutive qui réanime le corps et lui fait atteindre la grâce.

« Les gens qui réfléchissent dansent trop mal en général »… Dès les premières pages, Alexandre Lacroix donne le tempo en reconnaissant un certain malaise du philosophe face l’impératif social de danser lors de soirées festives. Cette confession résonne avec l’anecdote du philosophe Alain sur le mille-pattes, qui ne pourrait pas marcher s’il commençait à réfléchir à chacun de ses pas.

Paris, je t’aime !, Colette (par François Baillon)

Ecrit par François Baillon , le Lundi, 10 Mars 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits

Paris, je t’aime !, Colette, Éditions de L’Herne, 2023, 160 pages, 14 € . Ecrivain(s): Colette

 

Ce recueil de textes de Colette, parfois inédits, se découpe en deux sections : Paris, je t’aime !, et J’aime être gourmande, qui ont fait l’objet d’éditions séparées auparavant. Réunis par Gérard Bonal (décédé en 2022) et Frédéric Maget, il reprend parfois des articles où la célèbre écrivaine s’adressait aux lectrices de Marie-Claire. Et il est à noter que, même dans ce type d’exercice – que l’on pourrait considérer de second ordre –, on retrouve dès les premières lignes la signature inimitable du ton et du style de Colette.

En vérité, bien des thèmes chers à son œuvre se rassemblent dans ce recueil : la présence magnétique des animaux, avec « La “Chatte”, celle qui n’a pas voulu d’autre nom », dont elle fait un personnage à part entière, si ce n’est un Sphinx, compagne à la fois calme et déterminée, hautement mystérieuse, sans que l’auteure ne se départisse de l’émotion éprouvée lors de leur rencontre, très singulière, ou lorsqu’elle porte attention à son étrange langueur, à l’approche d’une ultime étape…