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Les Livres

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau (par Gilles Cervera)

Ecrit par Gilles Cervera , le Vendredi, 10 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Paul Celan, Sauver la clarté, Marie-Hélène Prouteau, éditions Unicités, octobre 2024, 141 pages, 14 €

Marie-Hélène Prouteau nous réveille à temps. Nous étions sur le point de ne plus penser à Paul Celan.

Cette poésie d’inconfort, ce destin de mots qui bougent, frappent, surtout de mots qui résistent, se faufilent, étincellent. Marie-Hélène Prouteau, dans un court ouvrage intitulé Paul Celan, Sauver la clarté, nous aide dans son œuvre poétique à y voir plus clair.

Y croiser dans cette biographie en désordre Mandelstam, Rilke, Kafka ou Kropotkine, Jean Bruller alias Vercors, Walter Benjamin, Pasternak ou Desnos. De ce dernier apprendre de cette lettre de Youki à Gaston Gallimard l’histoire surréaliste et tragique de la boîte de chocolats de Robert Desnos…/… Il y cachait le manuscrit d’un roman d’amour et les lettres de son épouse. Initiative fatale. La boîte Marquise de Sévigné fut volée par un prisonnier russe. Desnos, espérant retrouver la précieuse boîte donna ses rations de nourriture et se refusa à quitter le camp gagné par le typhus. Il mourut terrassé par la maladie.

Tendre est la province, Thomas Morales (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 09 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Editions des Equateurs

Tendre est la province, Thomas Morales, Éditions des Équateurs, octobre 2024, 240 pages, 19 € . Ecrivain(s): Thomas Morales Edition: Editions des Equateurs

 

« Je déteste par-dessus tout que l’on piétine mon pré carré et moque mes aînés. J’ai de l’estime pour les miens, commerçants berrichons et forçats venus d’Andalousie. C’est pourquoi je relie la nostalgie à la province, parce qu’elle me semble être son terroir naturel. Son espace de réenchantement » (« Suis-je le dernier Dodo ? », Tendre est la province).

« Je me damnerai pour un merlan en colère et une tranche de persillé, une épaule d’agneau pommes boulangères, des paupiettes, un navarin, du tendron de veau à la tomate et des œufs meurette. Mon grand-oncle, empereur du boudin et de la tripaille, limougeaud et laudateur de la race limousine, débarquait avec des pâtés, des rillettes et rillons, un jambon à l’os d’excellence et un jambonneau aussi époustouflant qu’une strophe de Cocteau » (« Appétit sans frontières », Tendre est la province).

Nord Sentinelle, Jérôme Ferrari (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Actes Sud, En Vitrine, Cette semaine

Nord Sentinelle, Jérôme Ferrari, Actes Sud, août 2024, 140 pages, 17,80 € . Ecrivain(s): Jérôme Ferrari

 

La maîtrise élégante et parfaite de la langue, dans une déclinaison impeccable des registres et des tonalités, place d’emblée ce bref roman dans les meilleurs de cette rentrée. Ferrari jubile et nous fait jubiler et, son plaisir évident de trucider, rend sa charge ébouriffante. Car c’est une charge que ce roman, bien au-delà de l’histoire noire qu’elle raconte.

Les objets de cette charge ? Rien moins que le colonialisme, le tourisme et la violence ancestrale des vieilles familles corses.

Dans le cannibalisme colonial, celui qui commence par l’arrivée d’un premier découvreur et continue par le déferlement qui le suit inévitablement, s’inscrit en lettres de sang et de feu le désir du prédateur de conquérir, posséder, exploiter. Le lien vers le symptôme du touriste est inévitable : même soif de jouir d’un lieu, d’en tirer plaisir, de se sentir tout-puissant par l’argent, de saccager enfin lieux et culture sans scrupule.

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda (par Murielle Compère Demarcy

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 08 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Pronostic vital engagé, Jacques Cauda, Éditions Sans Crispation, mars 2024, 130 pages, 16 €

 

La radiographie n’est pas belle, ou si ! Terriblement fascinante. Voyez cette toile d’araignée se déliter sous elle comme on se délite s’oubliant : ainsi l’époque, dans son corps social politique et culturel déliquescent qui nous déchire et se désintègre, le symptomatique aujourd’hui qui nous aveugle et nous voit souvent si veules, impuissants, ainsi… Paul-Mario, drôle de type improbable et génial perfusé pour survivre au VivrÉcrire-Peindre quotidien dans la transgression de toute norme, quelle qu’elle soit, ausculte le corps défait de son Paris, le palpe, le scrute avec minutie, obsessionnellement et par effraction et, forçant les portes d’une libido prête à mouiller et faire mouiller les plus résistantes serrures, poursuit son œuvre criminelle (puisqu’écrire revient à tuer), « l’œil entre les jambes dans le trou ». Le fantasme rutile sur le tournebroche d’un imaginaire débridé, rosit entre les lèvres de l’étoile pleureuse rimbaldienne s’écoulant dans l’Oreille de l’univers et file dans sa ouate sidérale jusqu’aller tomber dans le lit de Pollock où s’y disloquer, l’amour écartelé, sadique, viril, viral !

Houris, Kamel Daoud (par Mona)

Ecrit par Mona , le Mardi, 07 Janvier 2025. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Houris, Kamel Daoud, Gallimard, Coll. Blanche, août 2024, 416 pages, 23 €

 

Du roman de guerre à la bataille de l’intime

A l’heure où les Afghanes se talibanisent et où jaillissent les cris des Iraniennes : « Femme, Vie, Liberté », peu de temps après la parution du livre de Salman Rushdie, Le Couteau, à propos de l’attaque qui lui a coûté un œil, le jour même où débute le procès de l’assassinat de Samuel Paty, Kamel Daoud, témoin de la montée en puissance des « barbus de Dieu » dans son pays natal, lui-même cible d’une fatwa en 2014, méritait de recevoir la plus prestigieuse récompense littéraire française, le Prix Goncourt, pour son roman Houris, nommé d’après les 72 vierges, récompenses des bienheureux au Paradis d’Allah. Parole libre contre un révisionnisme qui voudrait effacer l’histoire et un totalitarisme religieux, « mutation mortelle au cœur de l’islam » (écrit Salman Rushdie), l’auteur franco-algérien refuse les assignations identitaires (« J’ai le syndrome d’Apollinaire, je suis plus Français que les Français » (Le Point 9/08/24).