Identification

La Une CED

Tout ce que je vous dois, Lettres à ses amies, Virginia Woolf (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mercredi, 17 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Tout ce que je vous dois, Lettres à ses amies, Virginia Woolf, L’Orma, mars 2020, trad. anglais, Delphine Ménage, 64 pages, 7,95 €

 

Voilà un petit livre très soigné dans la forme, agrémenté de photographies et d’une jaquette qui se transforme en enveloppe. Chacune des lettres est précédée d’une introduction, situant notamment la destinatrice. Car il s’agit de femmes exclusivement (« seules les femmes stimulent mon imagination »).

Mais venons-en au principal : les extraits de vingt-sept lettres écrites par Virginia Woolf.

Elles ravivent une époque, aujourd’hui révolue, où, faute de passer des heures sur les réseaux sociaux ou pendus à nos portables, on prenait la plume pour joindre ses amis. Un art au demeurant exigeant, « bien plus difficile [que d’]écrire des romans ». Virginia s’y emploie en essayant « toujours d’aller derrière les mots ».

On ne sera pas étonné qu’il y soit question de littérature.

Ici, par exemple : « La littérature est, sans l’ombre d’un doute, l’unique profession intellectuelle et humaine qui vaille […] plus on écrit, meilleur on devient ».

Œuvres, Rabindranath Tagore (par Matthieu Gosztola)

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Mardi, 16 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Œuvres, Rabindranath Tagore, Gallimard, coll. Quarto, février 2020, trad. anglais et bengali par un collectif de traducteurs, édition de Fabien Chartier, préface de Saraju Gita Banerjee et Fabien Chartier, 1632 pages + 16 pages hors texte, 122 ill., 31 €

« Mon chant a dépouillé ses parures. Je n’y mets plus d’orgueil », confie Rabindranath Tagore (1861-1941) : voici une certaine forme de théâtre. Voici maintenant quelques-unes des notes prises par Franz Marijnen, à Bruxelles, pendant un cours donné par Jerzy Grotowski et son collaborateur Ryszard Cieślak, en 1966 : « [I]l est très important de ne jamais faire quelque chose qui ne soit pas en harmonie avec votre impulsion vitale, quelque chose que vous ne puissiez pas justifier vous-même. Nous sommes liés à la terre. Quand nous sautons en l’air, elle nous attend. Chaque chose que nous entreprenons doit être faite sans trop de hâte, mais avec un grand courage ; autrement dit, pas comme un somnambule, mais avec toute notre conscience, dynamiquement, comme le résultat d’impulsions définies. Nous devons graduellement apprendre à être personnellement responsable de tout ce que nous faisons. Nous devons chercher ». Grotowski écrit lui-même dans Vers un Théâtre pauvre (titre précieux entre tous) : « C’est en même temps quelque chose de […] difficile à définir, mais néanmoins très tangible du point de vue du travail. C’est l’action de se mettre à nu, de se dépouiller de protections de la vie quotidienne, de s’extérioriser. Non pas ‘pour se montrer’, car ce serait de l’exhibitionnisme. C’est un acte sérieux et solennel de révélation ».

J’accuse Apulée, saint Augustin, Ibn Khaldoun et les autres ! (par Amin Zaoui)

Ecrit par Amin Zaoui , le Lundi, 15 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Chroniques


Ils sont des écrivains de renommée, des maîtres de la plume et de la pensée, mais ils ont vécu dans la trahison historique. Dans la trahison de leur mère ! D’autres écrivains sont peu connus, méconnus ou inconnus, mais ils sont les maîtres de ces maîtres ! Quand l’élève donne la leçon à son maître.

J’accuse Apulée de Madaure le Berbère (125-170), fils de M’daourouch. Écrivain, philosophe et orateur de premier rang, certes. Bien qu’il soit considéré comme le père et le créateur du genre littéraire appelé « le roman », avec son livre exceptionnel, L’Âne d’or, je l’accuse. Lucius, personnage principal de L’Âne d’or, bien décrit, métamorphosé en âne, m’a toujours intrigué, m’a fasciné, mais j’accuse Apulée. J’accuse saint Augustin (354-430), Augustin d’Hippone ou d’Annaba, fils de Thagaste ou de Souk Ahras. Qu’importe les appellations des cités, il est le fils de Tamazgha, l’Afrique du Nord. J’accuse saint Augustin l’écrivain que j’aime beaucoup !

Pas de femmes parfaites, s’il vous plaît, Lettres de profonde superficialité, Jane Austen (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 12 Juin 2020. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Pas de femmes parfaites, s’il vous plaît, Lettres de profonde superficialité, Jane Austen, éd. L’Orma, mars 2020, trad. anglais, Louise Boudonnat, Delphine Ménage, 64 pages, 7,95 €

 

Lettres épigrammatiques

Les éditions franco-italiennes L’Orma diffusent à l’intérieur de jolis « plis » une sélection de textes de penseurs et d’artistes. Ici, il s’agit d’extraits de la correspondance de Jane Austen (1775-1817), qu’elle nomme elle-même : Lettres de profonde superficialité. Dans l’introduction de cet ouvrage, Eusebio Trabucchi campe le climat social, moral et les interactions des mœurs des 18e et 19e siècles anglais, ainsi que la volonté de l’édification des dames. En effet, il était quasi impossible de s’opposer au diktat qui soumettait les femmes aux lois du mariage, à la relégation au foyer et à l’invisibilité. De là, sans doute, naît le recours fréquent au discours indirect (free indirect speech) – forme narrative reprise ensuite par Fanny Burney – qui caractérise le style de Jane Austen, une sorte de mise en abyme de sa personne et de sa pensée, une scission ; un double. Austen se met en retrait, car comprimée par l’ambiance étouffante de l’omniprésence de son entourage, se fait voyante, scrutant les événements de son milieu.

Sur une phrase de Stendhal - Histoire fugitive (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 10 Juin 2020. , dans La Une CED, Ecriture, Nouvelles

 

Je suis un lecteur minutieux, voire maniaque, souvent négligent aussi ou aveugle devant des évidences communes. Une phrase de la Vie de Henry Brulard a retenu mon attention, il y a un an environ. On la trouvera à la page 153 de l’édition Folio : « Quel abîme de bassesse et de lâcheté morales que les Pairs qui viennent de condamner le sous-officier Thomas à une prison perpétuelle, sous le soleil de Pondichéry pour une faute méritant à peine six mois de prison ! ». Le narrateur évoque la répression d’une conspiration républicaine en 1834. Cette phrase a troublé mon sommeil. M’a d’abord interloqué le fait que Pondichéry, à l’inverse de l’Algérie et de la Guyane, ne fut jamais un lieu de relégation ou de déportation : le professeur Malangin, du CNRS, me l’a confirmé. Il faudrait donc supposer une petite erreur de Stendhal. J’ai enquêté. « Thomas » se nommait en vérité Jacques Léonard Clément-Thomas et connut une destinée tumultueuse, sinon édifiante. Je tire ces renseignements d’une note de Jean Bourcart dans sa thèse Lunéville : une garnison de cavalerie dans l’espace frontalier lorrain. Représentation et évolution d’une division de cavalerie aux avant-postes (Université de Lorraine, mars 2018).