De la poésie, Entretien avec Reynald André Chalard, Philippe Jaccottet (par Didier Ayres)
De la poésie, Entretien avec Reynald André Chalard, Philippe Jaccottet, éditions Arléa, juin 2020, 94 pages, 8 €
Le poète empathique
Comment rédiger quelques propos au sujet de l’entretien accordé par Philippe Jaccottet à Reynald André Chalard, sans trahir la pensée du poète sur la poésie ? J’ai très vite songé à cette question en y répondant en moi-même. J’ai pensé que pour un poète comme lui, qui ne tolère pas la trahison qu’exige sa propre empathie avec le poème, soit avec ses émotions, soit avec la réalité, et sans opter pour un langage poétique de fantaisie, d’artifice, cette vision était par elle-même impossible à dénaturer.
Il est vrai que mon destin est lié lui aussi au difficile travail du poème, sachant que j’aime lire la poésie d’aujourd’hui – et celle d’hier évidemment – et que je le fais toujours avec toute ma personne, risquant de parler de moi-même sous le couvert de faire parler l’auteur. Toujours est-il que je cherche en grande partie où se joue le pouvoir secret de créer. Et puisque je parle longuement de moi (trop ?) je finirai ici en précisant que j’ai aimé l’attention que porte Philippe Jaccottet à la vérité, vérité de la vie, pour lui qui fut traducteur et critique, et donc en quête à travers les textes, de la vie et de la véracité du langage qui l’accompagne.
Revenons à l’entretien. Le poète poursuit, on le voit, quelque chose qui serait de l’ordre de la transparence, de l’intelligence de la réalité au profit de la clarté, d’une espèce de diaphanéité, mais en ne recourant pas ou peu, ou très peu, à l’image. Juste en disant : là est ce sentiment, là est le poème, et entre les deux une sorte de mystère et d’alchimie où le vouloir disparaît. Bien sûr, cette poésie ne supporte aucune enflure ni prétention abusive. Jaccottet reste simple, humble. Et son évocation de Rilke ou de Ponge étoffe ses propos. Ainsi, on voit ce qu’est poésie pour Jaccottet, et ce qui n’est pas poésie, presque par intuition en somme. Et abordant le sujet de la fabrication du poème, l’auteur laisse entendre qu’il aime peu biffer, peu se repentir, faisant confiance à cette musique poétique qui l’habite, qui inonde son travail. Oui, l’eau pourrait peut-être faire métaphore. L’eau d’un étang calme, l’eau claire d’une simple fontaine sur la place d’un village tranquille, d’une Thébaïde.
Il est sûr que ce sont des poèmes nés de moments heureux de ma vie ; et je me souviens : je travaillais dans ce jardin, les poèmes venaient dans ma tête absolument tout seuls. Je n’étais pas sur la page blanche, ils me venaient alors que j’arrachais de mauvaises herbes, ou faisais du feu : ce dont je parle dans le poème me venait comme cela… C’était comme une espèce de grâce… Enfin, c’est un peu gênant d’employer des mots irrationnels, mais après tout, tant pis… C’était un certain état de légèreté et en même temps de cohérence, je pense, ce qui fait que ces métaphores doivent être particulièrement cohérentes avec ce qu’elles veulent dire : il n’y a pas d’écart, il n’y a pas de recherche d’étrangeté, donc il n’y a pas de déchirement…
On peut achever cette lecture en voyant le poète du contact, de l’emprise, de la liaison avec l’émotion, faite langage, comme en une empathie profonde de lui-même avec son sujet. Un trajet vers l’absorption de soi dans la profondeur, dans le climat aqueux de l’invention du poème, dans ce secret de la création qui reste le dernier signe en fin de compte, de l’œuvre d’art.
Didier Ayres
- Vu: 1515