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La Une CED

Le ciel sans boussole, Watson Charles (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 23 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le ciel sans boussole, Watson Charles, éditions Moires, Coll. Lachésis, février 2021, 127 pages, 15 €

 

Ayiti

Le ciel sans boussole, le premier roman du poète Watson Charles, né en 1980, commence comme une balade américaine, où deux amis, Jackson et Rodrigue, parient sur le hasard des chiffres qui peuvent porter chance. En votant, par exemple, le numéro de loterie 66, un avatar du nombre 666 qui, dans l’Apocalypse, est le « Nombre de la Bête ». Ces deux compagnons de route, originaires d’Ayiti (Haïti), organisent des paris de dés clandestins, au milieu de processions religieuses et de fêtes. Entre les ventes d’« objets religieux », des plats locaux préparés à base de « haricots rouges », de « cabri », de « pain patate », un étrange personnage s’immisce dans la foule. L’ambiance ressemble à celle de la cour des Miracles, du parvis de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, où « bondées, les allées sont peuplées de gueux et de truands ». Sauf que cela se passe à « Belle Fontaine » et que ce n’est pas Esmeralda qui retient l’attention, mais un « ancien (…) croque-mort ».

Agent secret, Traits et Portraits, Philippe Sollers / Légende, Philippe Sollers (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 22 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Roman, Gallimard, Mercure de France

 

« Je suis très heureux d’être là, en cet instant précis, dans ce bureau, chez Gallimard, rue Gaston-Gallimard, livres, encore bleu, terrasse fleurie. Cette maison d’édition n’a pas d’équivalent au monde. Personne ne sait ce que je vais faire, je suis dans une liberté totale avec évidemment le fonds qui est là, qui bourdonne et continue à vivre, toutes ces voix splendides (Agent secret).

« Le classique est l’éternel retour, malgré la confusion la plus violente, de l’ordre, de la beauté, du luxe, du calme, de la volupté. L’enfer est moderne, le paradis est classique. Voilà la surprise de l’année 2020, c’est-à-dire, de l’An 132 dans l’ère du salut » (Légende).

Philippe Sollers possède l’art singulier du trait – un livre peut devenir une flèche –, et du portrait, cet art ancien où excellait Édouard Manet. Philippe Sollers se livre à l’autoportrait, celui d’un agent secret, autrement dit d’un écrivain en mouvement permanent, à la jeunesse bordelaise baignée de lumières, d’arbres, d’oiseaux, et de voix écrites. Si bien entendues, elles deviendront des vies divines : Ulysse, Nietzsche, Baudelaire, Watteau, Rimbaud, Cézanne, Proust, Poussin et Hölderlin, et n’en finissent pas de traverser les siècles.

Cavalier noir, Philippe Bordas (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay , le Mercredi, 21 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Cavalier noir, Philippe Bordas, Gallimard, février 2021, 336 pages, 21 €

 

Cavalier noir est l’histoire d’une retraite, d’une fuite, d’un exil. Muni de sa sempiterne monture à deux cycles, démuni de ses avoirs, le narrateur quitte Paris et, surtout, le cénacle du Petit-Thouars, conventicule de gandins faisandés dans des poses et des fantasmes sadisant, bellmerisant, bataillisant… jusqu’au grotesque, pour Heidelberg et les vallées boisées du Neckar. Il y rejoint Mylena, une jeune femme solitaire, inactuelle et étrangère, qui ne cesse « de prévoir le pire, les infirmités, la noirceur, la mort » et de s’y confronter, de l’Inde au Burkina Faso.

C’est l’histoire d’un amour qui semble lui aussi inactuel, tant il paraît éloigné des préoccupations et discours contemporains sur l’amour, tant il est, et la jeune femme avec lui, exalté par la langue brasillante de l’auteur, qui en explore et en interroge les splendeurs et les mystères. S’y dessine une érotique où se mêlent code courtois, archétypes de la muse, de la madone et de la fée, motif de la reconnaissance, sensualité capiteuse, dans le huis clos du refuge de Mylena, une cabane dans les bois – les encabanés en tous genres sont nombreux, ces temps-ci, dans l’actualité littéraire.

Le « côté Dostoïevski » de Robert Bresson (1) (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 20 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

De son propre aveu, Robert Bresson n’a jamais osé toucher aux grands romans de Dostoïevski, trop complexes et trop vastes, « d’une beauté formelle parfaite ». Si le cinéaste n’a adapté stricto sensu que des nouvelles mineures de Dostoïevski, telles Les Nuits blanches (1848) et Douce (1876), qu’il jugeait « bâclées », « simples, moins parfaites, écrites à la hâte », il s’est aventuré, dans à Au hasard Balthazar et Pickpocket, au sein de la nuit dostoïevskienne et en a inlassablement pénétré les profondeurs.

Dans un dialogue demeuré célèbre, à la fin de La Prisonnière, le narrateur proustien initie Albertine à la lecture de Dostoïevski, discernant chez le romancier russe « cette maussaderie anticipée des primitifs que les disciples éclairciront ». Robert Bresson figure parmi ces disciples. Cette parenté pourrait surprendre, et ceci avant tout pour une question de proportions. Comparer Les Frères Karamazov à Pickpocket n’a, à première vue, aucun sens. Autant comparer l’allegro d’une symphonie de Beethoven à l’andante d’une sonate de Schubert. Le déferlement proprement shakespearien du premier contraste avec le silence limpide et calme du second.

Lettre au recours chimique, Christophe Esnault (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 19 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Lettre au recours chimique, Christophe Esnault, éditions Aethalides, mars 2021, 128 pages, 16 €

 

Dans mes clairières, je ne suis jamais seul

J.B. Pontalis

Poème pellucide

L’impression générale que j’ai pu ressentir à la lecture de cette lettre au recours chimique, c’est celle d’une fluidité, d’un certain chant régulier. Ce texte qui graphiquement est centré sur la page (à tel point que j’ai reconnu des calligrammes, ceux d’Apollinaire comme perspective), se lit par souffle. Cette poésie est donc charnelle. Ou encore, en relation avec la phonation, l’élocution orale (très vieux modèle de la poésie occidentale depuis les aèdes). Ici, cette prise de parole devient une expérience de la pensée critique. Surtout comme un discours ironique et violent, et nullement une expression de l’espèce speakers’corner. Les thèmes n’en sont pas moins brûlants, écriture cependant conçue comme un engagement littéraire : la maladie, la déréliction psychologique, la psychiatrie et ses psychiatres.