Le Manscrit, Olivier Domerg (par Didier Ayres)
Le Manscrit, Olivier Domerg, éditions Le Corridor Bleu, avril 2021, 232 pages, 18 €
Le poème itinérant
Je découvre avec ce livre le travail d’Olivier Domerg en son obsession poétique autour du Puy de Manse. Texte poétique que je rapprocherais des Eaux étroites de Gracq. C’est bel et bien une forme d’envahissement de la montagne du massif des Écrins qui coule dans le poète. Cette infusion ressemble à l’immersion de l’Èvre, fleuve fameux du voyage de Gracq dans le Maine-et-Loire. Ce Puy-là va au-delà de sa présence physique devant le poète. Mais avec un surgissement, une surabondance d’épithètes, de liens avec l’aspect pierreux, les tons et les couleurs végétales. Cette montagne est plus sujet qu’objet, car elle fertilise le poème et lui donne sa nature : non pas une contemplation mais un labeur actif (comprenant celui de l’ascension physique).
Nous sommes donc devant un texte transversal, qui va horizontalement de l’écriture au paysage et inversement. Phénomènes de va-et-vient. Construire la montagne par sa lecture. Reconstruire sa promenade par la littérature. Poésie itinérante. Écriture presque matérialiste dans laquelle la parole ne quitte pas son motif. Le spectacle des lieux comme page blanche.
Deux corbeaux craillent en plein vol. Ils ont fait le tour, eux aussi, prenant la mesure de cette cime qui se trouve être la moins élevée (1497 m).
Pas de mancie dans le Manse. Une simple révélation quotidienne des textures des frondaisons, des arbustes, des couches géologiques. Donc aucunement le pays chantant et lyrique de la Symphonie Alpestre. Écrire le paysage ici c’est le brouter. C’est arracher la touffe de mousse sèche pour la cataloguer. Pour l’archiver dans le texte. Ainsi, non pas la musique de Strauss, mais l’énigmatique thème de la peinture chinoise qui, durant mille ans, sans aucune variation, dressa le motif de la montagne dans une exactitude formelle presque terrifiante.
La couleur décide du tableau. Elle fait masse et matière, plis, rondeurs, volumes, lumière. Gris clair de l’éboulis piqué de marron, glacis d’herbe confite, couleur de la terre dessous, blanc des bandes de neige résiduelles, fondrière de la fonte.
On souffle, on ahane, on répète le poème. On paît. On respire. On expire. On gravit la montagne en s’appuyant sur des noms de lieux, une topologie qui fait basculer le poème sur son topos. Ainsi, un topoème. Le poème invagine littéralement le paysage. Il en fait son gant. Le lieu devient une écriture. Donc, au sens littéral, un symbole : la coupure du texte qui se cale sur l’autre partie, le pays, en regard, qui s’emboîte. C’est la triangulation très sensible que me permet de conclure : le poète, la montagne, le poème.
Didier Ayres
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