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La Une CED

La guerre sainte n’aura pas lieu : à propos d’un conte des Mille et une nuits (3ème partie) (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 15 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques


III - Le temps du récit et le temps du réel

Récit et désir

Le conte de Tâj al-Mulûk et de la princesse Dunyâ, raconté par le vizir à Daw’ al-Makân pour se changer les idées, occupe, dans le récit, les nuits 129 à 137. En réalité, quatre ans ont passé une fois l’histoire de Dandân achevée. Le vizir y raconte « d’extraordinaires récits puisés dans la geste de monarques fameux » et l’histoire « des amants qui ont défrayé la chronique » (p.465). Ayant décidé de faire le siège de Constantinople, les musulmans ont attendu quatre ans aux portes de la ville afin d’épuiser les troupes adverses. En d’autres termes, la guerre sainte est reportée, repoussée à une date ultérieure ; ou plutôt, les deux camps ont conscience que la guerre ne se gagnera pas sur le champ de bataille. Dans le conte, les conflits sentimentaux et familiaux retardent sans arrêt le succès de la guerre sainte. Ici comme ailleurs, les Nuits donnent à voir un désir jamais assouvi, qu’il concerne la vengeance de l’un ou le sentiment amoureux de l’autre.

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 14 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

À 80 km de Monterey, Guillaume Decourt, éditions Æthalidès, mai 2021, 96 pages, 16 €

Tentative

Quel plaisir de lire le nouveau travail de Guillaume Decourt où j’ai reconnu différentes tendances littéraires qui me sont familières ou que j’ai moi-même pratiquées. Le résumé est simple – mais toute la difficulté c’est justement de rendre le poème simple et non affecté par des poses : une tentative d’englober. Ce faisant, aller d’une forme vers une réalité augmentée – à l’instar de Cendrars célébrant ses Pâques à New-York. Ici, la réalité qui filtre, c’est le monde anglosaxon. L’auteur côtoie des lieux, des personnes, des littératures multiples et citées comme pour insuffler de la vie, un mouvement intéressant au sein du poème.

Le principe ici est rigoureux : 44 poèmes de 4 quatrains chacun (ce qui m’a rappelé le titre du film d’Abel Ferrara, 4h44, temps d’apocalypse, mêlant la peinture et d’anciens démons d’addictif). Ce protocole compris, Guillaume Decourt mêle à sa pâte linguistique des éléments hétérogènes, hétéroclites en un sens. Cette approche ressemble un peu au travail des Cantos de Pound, lequel par exemple fait intervenir des idéogrammes chinois sans traductions ou des coupures de journaux. Le tout pour en faire de la littérature.

Ainsi sont-ils, Isabelle Flaten (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 11 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Ainsi sont-ils, Isabelle Flaten, Le Réagal-Éditions, 2018, 120 pages, 12 €

 

Entrez mesdames et messieurs, jouvencelles et jouvenceaux, les trois coups viennent de retentir et nous avertir. Le spectacle va commencer. Vous êtes plongés dans le noir de vos existences et vous cherchez obstinément une lueur où tenter de vous agripper. Mais il faudra patienter le temps de la représentation, pour entrevoir la possibilité de sortir de l’ombre et vous retrouver tel qu’en vous-même.

Dans l’intervalle, c’est la montreuse de marionnettes qui va conduire le bal. Elle va vous dévoiler tel que vous croyez être ou peut-être pas. Isabelle Flaten est devenue, le temps d’un livre, Ainsi sont-ils, publié chez Le Réalgar-Éditions en 2018, une marionnettiste. Et nous, spectateur-lecteur, sommes sous le charme. Alors, dans le noir, tombez le masque. Et vous pourrez vous poser la question existentielle essentielle : « Savons-nous vraiment qui nous sommes ? Isabelle Flaten explore des êtres et des situations que nous connaissons tous ou pas. Des positionnements diaprés. Elle sonde des cœurs et des âmes avec une précision d’entomologiste. Tout ce qui touche au monde contemporain l’attire. Et elle ne se prive pas de nous le faire l’observer avec un regard souvent décalé, imprévu.

Entretien Gilles Brochard/Maxime Dalle sur la revue littéraire Raskar Kapac et le numéro spécial « Augiéras » (par Gilles Brochard)

, le Jeudi, 10 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, Entretiens

 

Gilles Brochard : Maxime Dalle, vous êtes le fer de lance de la revue littéraire Raskar Kapac qui a la volonté de mettre en avant des esprits libres, des écrivains ou des aventuriers qui ne craignent pas d’être des exemples pour des lecteurs et des admirateurs en dehors des modes.

Est-ce une provocation de célébrer aujourd’hui François Augiéras, ce « fils de la lumière », comme vous le faites dans ce numéro hors-série ?

Maxime Dalle : Si par « provocation », l’on entend « appel à inciter » comme le suggère l’étymologie du mot, alors oui, ce numéro est une provocation à découvrir l’œuvre d’Augiéras. Ce qui rend scandaleuse l’œuvre de ce périgourdin mystique, c’est sa dimension rimbaldienne. Augiéras est imprenable. Dès l’âge de quinze ans, il se considère lui-même comme un vagabond, un jeune homme en quête qui ne cessera toute sa vie de pérégriner dans le Sahara marocain, sur le mont Athos, en Grèce, avec les ermites orthodoxes, mais aussi et surtout en Dordogne qui est son pays d’élection.

Sur une nouvelle de Julio Cortázar (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 09 Juin 2021. , dans La Une CED, Ecriture

« L’écriture est une science où l’on ne sait jamais de quoi l’on parle ni si ce qu’on dit est vrai »

Jean Ristat, Du coup d’Etat en littérature (1970)

1) Tu n’es ni argentin ni uruguayen ; tu n’es pas né à l’embouchure du Rio de la Plata ; tu ne te targues d’aucune ascendance gaucho. Mais tu lis L’Autre ciel, de Julio Cortázar.

2) Dans L’Autre ciel, il est question de passages. Tu aimes les passages (une de tes tantes habitait rue de Choiseul, dans ton enfance, avant de déménager à Vincennes) ou de façon plus précise la littérature des passages : Baudelaire revu par Benjamin, Céline, Aragon, Julien Green. Tout passage est un hétérotope ; dans tout passage, nous changeons d’échelle, de climat, de ciel. Syntagmes de la flânerie : vitrines ; enseignes ; marquises ; café ; petit théâtre à l’étage ; heureux détours ; rôdeurs-apaches aux yeux gris-vert ; cartes et estampes ; constellation des voûtes ; miroir qui renvoie, narquois, à quelqu’un d’autre que soi-même. On n’échappe pas au monde marchand dans un passage ; mais la marchandise s’y trouve (chargée d’ombre ou lavée de lumière pluvieuse ; dépistée dans un couloir, en haut d’un escalier ; dissimulée dans une arrière-boutique) comme repolie, réagencée, réinventée avec subtilité. Tu regrettes que l’ère des passages soit, sinon dans une logique touristique, révolue.