Se tracer une route
La destinée était déjà tracée d’avance pour Mehdi Charef, celle d’un futur travailleur, circonscrit aux tâches manuelles des immigrés, « la seule chose que notre père nous ait transmise » : une assignation sociale, un déterminisme de classe, raciste, suite à une politique colonialiste et un profond mépris. La discrimination et le déni des droits de l’homme ont été soigneusement appliqués pour les « solvables » à merci. L’appartement HLM a été la récompense suprême pour avoir participé à construire dans l’anonymat les fondations de presque tous les bâtiments de France, et de s’être abîmés, pour les pères maghrébins, africains, sur tous les chantiers publics ou privés.
Dans La cité de mon père, le 7ème roman de Mehdi Charef, il s’agit d’abord de « franchir l’océan de l’exil ». Pour le père, de s’échapper d’un continent, l’Algérie, d’un village, « Ouled Charef, dachra de la montagne », d’une condition, « berger », de franchir les déserts, les plaines, la mer, de subir l’exil pour ce géniteur qui a « le regard fixe d’une statue ». De partir du pays confisqué dans lequel « des grandes personnes, misérables, indigènes comme nous, nous repoussaient comme des chiens, à coups de bâtons », « sous les yeux de familles de colons aux paniers pleins de victuailles que le spectacle aurait amusés ».