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La Une CED

Hormis la joie, Pierre Andreani (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Mai 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Hormis la joie, Pierre Andreani, éd. Sous le Sceau du Tabellion, février 2021, 96 pages, 13 €

 

Fouillement

Mon travail critique a le mérite de me faire ressentir de la joie et bien souvent de la curiosité pour des textes nouveaux qui me parviennent. C’est le cas ici avec ce livre de Pierre Andreani, où la difficulté non pas de trouver une clé dans ce mystère, mais un surcroît d’intensité en découvrant la personne, le poète derrière ses lignes, est devenue au cours de ma lecture justement cette clef-là que je cherchais. Ainsi, je crois avoir compris où la signification rationnelle venait buter, grâce à une expérience de la langue profonde et énigmatique. Cette double compréhension – moi lisant un texte feuilleté par un divorce entre l’épithète et son explication – s’est révélée une gymnastique dans laquelle ce qui est intervallaire a plus de poids que la réalité des sens, que la teneur intellectuelle des définitions et des sèmes.

Confusion, La saga des Cazalet, tome III, Elizabeth Jane Howard (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 30 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Confusion, La saga des Cazalet, tome III, Elizabeth Jane Howard, La Table Ronde, Quai Voltaire, mars 2021, trad. anglais, Anouk Neuhoff, 512 pages, 23 €

Confusion est le troisième tome de La saga des Cazalet, après Étés anglais et À rude épreuve, d’Elizabeth Jane Howard (1923-2014). Polly et Clary Cazalet, les deux cousines, ont maintenant 17 ans. Polly (fille de Hugh Cazalet) affronte la mort de sa mère, Sybil Veronica. Durant cette période de guerre mondiale, de 1942 à 1945, les corps et les cœurs sont souffrants, la population endure des pénuries de médicaments, de nourriture, de chauffage, les bombardements, les seules consolations restantes se bornant à préserver l’unité familiale.

Elizabeth Jane Howard approche de très près ses créatures de papier, qu’elle dote d’organicité, en décrivant les sanies des bébés et des vieillards, les soins successifs sans fin, les maladies, l’acné juvénile, les larmes, la perte entière des dents, l’amputation des membres des rescapés. Les conversations sont longues, les échanges, surprenants, les dialogues entre les jeunes filles, circonstanciés, intelligents et d’une certaine maturité. Les femmes sont vouées à l’économie ménagère ; la société de consommation du tout jetable n’ayant pas encore envahi les mœurs. Néanmoins, elles travaillent, occupant principalement des métiers du tertiaire.

Le « côté Dostoïevski » de Robert Bresson (2) (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 27 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

II- Requiem pour un âne

On trouve la première passion d’un âne, passion au sens chrétien du terme, dans un rêve de Raskolnikov enfant. Plus exactement, il s’agit d’une « pitoyable haridelle rouanne de paysan ». La scène est connue : l’enfant marche près de son père au milieu d’une population ivre et grossière, lorsqu’il assiste au spectacle d’un cheval qu’on accable de coups et qu’on fouette à mort. Aux reproches des participants, le criminel répond en vociférant : « C’est mon bien ! ». La jument rend son dernier soupir, sous le regard désolé de l’enfant impuissant. Est-ce à cet épisode de Crime et châtiment, rendu célèbre par la folie de Nietzsche et par la représentation qu’en donne Béla Tarr en ouverture du Cheval de Turin ; est-ce à cet épisode que songe Bresson lorsqu’il conçoit Au hasard Balthazar ? Ou bien à l’âne que le prince Mychkine, dans L’Idiot, entend braire lorsqu’il arrive à Bâle, qui lui rend toute sa lucidité et lui procure une « très vive sympathie pour les ânes » dont les filles de la générale ne manquent pas de se moquer ? Et le prince de faire un éloge de l’âne : « il est utile et bon garçon ». Bresson parle des ânes de son enfance, « ceux qu’on voit sur les chapiteaux des églises et des cathédrales romanes » (1).

Les Chants de l’Enténébré, Georg Trakl (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 26 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Langue allemande, Poésie

Les Chants de l’Enténébré, Georg Trakl, éditions Arfuyen, janvier 2021, trad. de l'allemand (Autriche) par Michèle Finck, 144 pages, 15 €

 

Couleurs

Il y a longtemps que je connais la poésie de Georg Trakl. Mais, c’est la première fois que je distingue autre chose que l’expressionnisme auquel on le rattache habituellement. Bien sûr, il y a du vrai dans cette classification, mais cela reste une vérité relative, car on trouve tout aussi bien le Rimbaud des Voyelles que l’influence des avant-gardes des années 10. Je m’appuie sur cette belle idée de Todorov, qui écrit que l’œuvre de génie, capable de changer la compréhension esthétique d’une époque, est feuilletée : des liens avec le passé, pour avancer dans ce maillage des héritages, stigmates qui autorisent la nouveauté, le pas en avant. L’œuvre qui transforme la littérature n’est pas qu’une destruction de l’ancienne littérature.

Le ciel sans boussole, Watson Charles (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 23 Avril 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Le ciel sans boussole, Watson Charles, éditions Moires, Coll. Lachésis, février 2021, 127 pages, 15 €

 

Ayiti

Le ciel sans boussole, le premier roman du poète Watson Charles, né en 1980, commence comme une balade américaine, où deux amis, Jackson et Rodrigue, parient sur le hasard des chiffres qui peuvent porter chance. En votant, par exemple, le numéro de loterie 66, un avatar du nombre 666 qui, dans l’Apocalypse, est le « Nombre de la Bête ». Ces deux compagnons de route, originaires d’Ayiti (Haïti), organisent des paris de dés clandestins, au milieu de processions religieuses et de fêtes. Entre les ventes d’« objets religieux », des plats locaux préparés à base de « haricots rouges », de « cabri », de « pain patate », un étrange personnage s’immisce dans la foule. L’ambiance ressemble à celle de la cour des Miracles, du parvis de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, où « bondées, les allées sont peuplées de gueux et de truands ». Sauf que cela se passe à « Belle Fontaine » et que ce n’est pas Esmeralda qui retient l’attention, mais un « ancien (…) croque-mort ».