La Vie d’un poète, Stefan Zweig (par Didier Ayres)
La Vie d’un poète, Stefan Zweig, éditions Arfuyen, juin 2021, trad. allemand, Marie-Thérèse Kieffer, 192 pages, 17 €
Porosité
J’utilise le mot porosité pour ouvrir ma chronique, car l’ensemble du livre présente un écrivain en contact avec la poésie, et ce faisant s’approche des affres et luttes au cœur de l’exercice poétique, et ainsi dénote d’un moment de basculement vers le travail du poète. Il en fait presque un soin, toujours est-il. Et je persiste à penser à la porosité de ces poèmes, sachant l’œuvre romanesque si importante ; or un poète se glisse dans cette prosodie et rend poreuse l’écriture du roman par la pratique du poème en vers ou en prose !
Je crois encore que la vérité est derrière ces espèces de lieder, un chant qui va et vient entre le roman et le dit, cet épanchement sur l’authenticité, une certaine pureté de l’expression que recherche Zweig, et qui agit très certainement sur son travail de romancier – d’où l’aspect poreux que j’évoque. Poreux à la véracité, à la musicalité, à la couleur et au ton d’une métrique contrôlée, exigeante, nécessaire. Ce travail lui permet de revenir vers lui, vers sa force, et là, dans cet espace littéraire, le poème vient rendre possible la gésine de l’œuvre totale.
Connais-tu cela ?
Tu es assis à écrire, à réfléchir – soudain
les murs s’évanouissent en un murmure.
Quelque chose
se lève et bouge dans ta maison,
un regard vient des fenêtres, une voix monte des chaises,
un craquement sur le plancher, une lueur dans le verre,
mais rien,
tu ne sens rien que sa présence.
On côtoie par incidence, des figures goyesques sous des formes mythologiques, ou des références peut-être assumées à C. D. Friedrich. Le poète Zweig, faisant une bifurcation nette avec son travail de récit, vaque parmi les étoiles, la nuée, le ciel, le jour, la nuit, midi, minuit, lutte contre le désespoir, la crainte suffisante de la mort – et l’on connaît la fin de l’écrivain et de sa jeune épouse au Brésil. Cependant, Zweig s’émerveille de la course des astres et du fonctionnement alternatif du rêve et de la réalité. Il communique cet étonnement devant les hautes énergies cosmologiques qui, de la simple cloche ou du glas de l’église, se retrouvent vagant dans l’univers de repli et de paix, de la tranquillité morale de ces travaux et de ses jours.
Les cloches qui s’éveillent. – Sous tous les canaux
scintille d’abord un reflet, tremblant encore et blême,
et de la pénombre du rêve se dévoilent
peu à peu les contours de la ville éternelle.
Didier Ayres
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