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La Une CED

Sur une nouvelle de Julio Cortázar (par Patrick Abraham)

Ecrit par Patrick Abraham , le Mercredi, 09 Juin 2021. , dans La Une CED, Ecriture

« L’écriture est une science où l’on ne sait jamais de quoi l’on parle ni si ce qu’on dit est vrai »

Jean Ristat, Du coup d’Etat en littérature (1970)

1) Tu n’es ni argentin ni uruguayen ; tu n’es pas né à l’embouchure du Rio de la Plata ; tu ne te targues d’aucune ascendance gaucho. Mais tu lis L’Autre ciel, de Julio Cortázar.

2) Dans L’Autre ciel, il est question de passages. Tu aimes les passages (une de tes tantes habitait rue de Choiseul, dans ton enfance, avant de déménager à Vincennes) ou de façon plus précise la littérature des passages : Baudelaire revu par Benjamin, Céline, Aragon, Julien Green. Tout passage est un hétérotope ; dans tout passage, nous changeons d’échelle, de climat, de ciel. Syntagmes de la flânerie : vitrines ; enseignes ; marquises ; café ; petit théâtre à l’étage ; heureux détours ; rôdeurs-apaches aux yeux gris-vert ; cartes et estampes ; constellation des voûtes ; miroir qui renvoie, narquois, à quelqu’un d’autre que soi-même. On n’échappe pas au monde marchand dans un passage ; mais la marchandise s’y trouve (chargée d’ombre ou lavée de lumière pluvieuse ; dépistée dans un couloir, en haut d’un escalier ; dissimulée dans une arrière-boutique) comme repolie, réagencée, réinventée avec subtilité. Tu regrettes que l’ère des passages soit, sinon dans une logique touristique, révolue.

La guerre sainte n’aura pas lieu : à propos d’un conte des Mille et une nuits (2ème partie) (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Mardi, 08 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

II - La dialectique du guerrier et du sacré


Prémices et prémisses d’une théologie

L’épopée cache-t-elle, pour autant, une théologie sous-jacente ? Il serait malhonnête de ne pas reconnaître l’effort des Nuits pour produire un discours cohérent sur Dieu, c’est-à-dire une théologie. Le conte fait office, à certains endroits, de recueil encyclopédique en matière de religion et de politique, notamment lorsque cinq byzantines, formées par Dhât ad-Dawâhî pour tromper le roi par leur science, sont interrogées par ce dernier pour prouver leurs connaissances.

Refaire le monde, Claude Minière (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 07 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie, Gallimard

Refaire le monde, Claude Minière, Gallimard, mars 2021, 64 pages, 11 €

Poésie plurivoque

Ce petit recueil de poèmes de Claude Minière s’est présenté à moi de manière presque échevelée, hésitante, ironique et ambiguë. Cette poésie joue sur différents genres – au sens musical peut-être. Elle va du mythe à la poésie engagée (pour la défense du climat par exemple), d’un travail très fin vers le registre ironique ; en bref, de l’aria au récitatif, de l’andante au scherzo, de l’ostinato au moderato cantabile. Travail de compositeur tout autant que de tailleur, lequel coud à partir de patron – ici compris comme ton général de chaque poème, qui confectionne des chasubles spirituelles ou des chlamydes venues de la poésie grecque.

La déesse me fait un appel du pied nu

de son pied elle me fait toucher chaque lettre

elle fait d’elle une avance

et je suis son Hermès porteur d’airelles

c’est aussitôt l’herbe verte et les dalles de marbre

les courses folles

Aux aubes de Satan - Job, le masque du malheur (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Vendredi, 04 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Chroniques, En Vitrine

 

Et Job, comme l’un des premiers échos du dit sur l’homme mordu par la douleur. Avec lui, le Mal ne lésine guère : la terreur qui l’engloutit est dévastatrice, ne laissant aucune place au drame et à la lutte contre l’adversité. Job c’est le regard désespéré de l’homme errant entre son vide intérieur et le vide du ciel, c’est la longue plainte face au gouffre du Destin, écho de toutes les lamentations humaines. Écoutons le chant sourd de sa misère.

 

Périsse le jour où je fus enfanté ! (Job. III. 3)

 

Pourquoi ne suis-je pas mort au sortir du sein

Et n’ai-je pas expiré quand je sortais du ventre ?

Pourquoi deux genoux m’ont-ils accueilli

Et pourquoi deux mamelles à sucer ? (Job. III. 11-12)

À cause de l’éternité, Georges-Olivier Châteaureynaud (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Jeudi, 03 Juin 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, En Vitrine

À cause de l’éternité, Georges-Olivier Châteaureynaud, Grasset, janvier 2021, 701 pages, 29 €

Entre-Mondes & Entre-Temps

« C’était une impression singulière, que de se sentir ainsi arrêté sur le bas-côté du monde ».

« Ailleurs, le monde n’existe pas vraiment, non ? C’est une sorte de racontar ! »

Georges-Olivier Châteaureynaud

Écorcheville demeure établie sur une rive du Styx, cité immémoriale aux allures peut-être normandes sur laquelle, « depuis toujours », règnent trois grandes familles rivales : les Bussetin, les Propinquor, les Esteral. On se connaît : on se fréquente de longtemps, on a mêlé les sangs, partagé les méfaits et les crimes sans lesquels on ne parvient à rien. Le lecteur français les connaît aussi : il les a rencontrées lors de sa lecture du mythique récit, ou roman – comment savoir ? – intitulé L’Autre rive, consacré à la première époque et à la première génération des habitants de la ville, auxquelles un chroniqueur français, appelé G.O.C. par ses amis et familiers, prêta sa plume pour nous en donner la très fidèle description, un historique en somme, que les mémorialistes du futur ne pourront négliger s’ils veulent commenter le passé. L’entreprise ne passa pas inaperçue, loin de là. La presse, les milieux littéraires en répercutèrent à juste titre les échos élogieux.