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La Une CED

La cité de mon père, Mehdi Charef (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 10 Septembre 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La cité de mon père, Mehdi Charef, éditions Hors d’atteinte, Coll. Littératures, août 2021, 230 pages, 17 €

Se tracer une route

La destinée était déjà tracée d’avance pour Mehdi Charef, celle d’un futur travailleur, circonscrit aux tâches manuelles des immigrés, « la seule chose que notre père nous ait transmise » : une assignation sociale, un déterminisme de classe, raciste, suite à une politique colonialiste et un profond mépris. La discrimination et le déni des droits de l’homme ont été soigneusement appliqués pour les « solvables » à merci. L’appartement HLM a été la récompense suprême pour avoir participé à construire dans l’anonymat les fondations de presque tous les bâtiments de France, et de s’être abîmés, pour les pères maghrébins, africains, sur tous les chantiers publics ou privés.

Dans La cité de mon père, le 7ème roman de Mehdi Charef, il s’agit d’abord de « franchir l’océan de l’exil ». Pour le père, de s’échapper d’un continent, l’Algérie, d’un village, « Ouled Charef, dachra de la montagne », d’une condition, « berger », de franchir les déserts, les plaines, la mer, de subir l’exil pour ce géniteur qui a « le regard fixe d’une statue ». De partir du pays confisqué dans lequel « des grandes personnes, misérables, indigènes comme nous, nous repoussaient comme des chiens, à coups de bâtons », « sous les yeux de familles de colons aux paniers pleins de victuailles que le spectacle aurait amusés ».

Pleine terre, Corinne Royer (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 09 Septembre 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Pleine terre, Corinne Royer, Actes-Sud, août 2021, 336 pages, 21 €

 

Comment un écrivain confirmé comme Corinne Royer va s’attacher à transformer un fait divers inspiré d’une réalité, qui s’est déroulé entre 2015 et 2017 en Saône et Loire, dans un pays essentiellement agricole, en une fiction ? En toute conscience et en toute liberté, elle choisit de prendre en charge et de porter avec brio le récit d’un paysan, Jérôme Laronze, éleveur obstinément attaché à sa ferme que sa famille possédait depuis plusieurs générations. Il portait un véritable amour à ses vaches. Il demandait juste de vivre dignement du travail de cette exploitation agricole et refusait de se plier à l’arbitraire. Dans ce nouvel ouvrage, Pleine terre, paru cet été aux éditions Actes Sud, Corinne Royer, par la magie, le sortilège et l’éclat de son écriture, va transformer les faits bruts en une épopée qui transforme chaque lecteur en témoin de ce récit qui se déroule sur deux ans. Cette fresque qui se termine en tragédie absurde, au fil des pages, l’auteure va la déployer en retraçant chacune des étapes de la vie de celui qui va, malgré lui, devenir un héros.

Encres lacérées, Muriel Augry (poèmes), Philippe Bouret (encres) (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 08 Septembre 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques, Poésie

Encres lacérées, Muriel Augry (poèmes), Philippe Bouret (encres), éditions CronEdit, 2020, trad. roumain, Valeriu Stancu, préface Emmanuel Pierrat, 62 pages, 12 €


La démarche diffère de celle poursuivie dans la plupart des créations littéraires du psychanalyste-auteur Philippe Bouret, à savoir qu’il s’agit avec Encres lacérées d’un accompagnement graphique de textes écrits postérieurement.

Muriel Augry – poétesse, essayiste et nouvelliste, distinguée en 1990 pour son essai Le cosmopolitisme dans les textes courts de Stendhal et Mérimée (éd. Slatkine) par le Prix Roland de Jouvenel de l’Académie française – a en effet, ici, écrit des poèmes à partir des Encres de Ph. Bouret.

La particularité de ce recueil consiste également dans une présentation bilingue des textes (français-roumain) – opus par ailleurs publié par des éditions sises à Iaşi en Roumanie où Muriel Augry dirige depuis 2019 l’Institut français de Roumanie.

Ad libitum (3/3) (par Isabelle Morino)

Ecrit par Isabelle Morino , le Mardi, 07 Septembre 2021. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

 

Quelques instants plus tard, le téléphone me prévenait : Nina venait d’être emportée sur une civière par les pompiers. Ils étaient en route pour l’hôpital, elle serait aux urgences dans une dizaine de minutes. Je restai interdit.

C’était le même coup de fil de Philippe, celui d’il y avait quelques heures, celui que j’avais reçu en plein boulevard Suchet. Sauf que j’étais chez moi. Je me précipitai à la Salpêtrière. On défibrillait son cœur. Mais cette fois, il se stabilisa et Nina resta en convalescence quelque temps, avant de quitter l’hôpital pour venir s’installer chez moi.

Aujourd’hui, Nina est à la maison. Hier aussi. Elle y est tous les jours. Son état lui interdit l’agitation, les mouvements de foule dans le métro. Son cœur est stable, mais il l’est par le truchement des pilules qu’elle avale à chaque repas. Elle doit consigner sa fréquence cardiaque et son pouls dans un journal, tous les jours. Elle est souvent prise d’étourdissements, elle a des chutes de tension inattendues. Je suis le seul à savoir combien son cœur est fragile. Elle a dû arrêter le travail et elle remplit régulièrement des papiers administratifs pour continuer à percevoir un salaire qui a diminué de moitié. La dépression la tient prisonnière des murs : elle ne sort que pour aller voir son médecin, poster ses arrêts maladie et récupérer de nouvelles plaquettes de bétabloquants et d’anti-dépresseurs. Parfois, vaincue, elle se les fait livrer.

La Vie d’un poète, Stefan Zweig (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 06 Septembre 2021. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

La Vie d’un poète, Stefan Zweig, éditions Arfuyen, juin 2021, trad. allemand, Marie-Thérèse Kieffer, 192 pages, 17 €

 

Porosité

J’utilise le mot porosité pour ouvrir ma chronique, car l’ensemble du livre présente un écrivain en contact avec la poésie, et ce faisant s’approche des affres et luttes au cœur de l’exercice poétique, et ainsi dénote d’un moment de basculement vers le travail du poète. Il en fait presque un soin, toujours est-il. Et je persiste à penser à la porosité de ces poèmes, sachant l’œuvre romanesque si importante ; or un poète se glisse dans cette prosodie et rend poreuse l’écriture du roman par la pratique du poème en vers ou en prose !

Je crois encore que la vérité est derrière ces espèces de lieder, un chant qui va et vient entre le roman et le dit, cet épanchement sur l’authenticité, une certaine pureté de l’expression que recherche Zweig, et qui agit très certainement sur son travail de romancier – d’où l’aspect poreux que j’évoque. Poreux à la véracité, à la musicalité, à la couleur et au ton d’une métrique contrôlée, exigeante, nécessaire. Ce travail lui permet de revenir vers lui, vers sa force, et là, dans cet espace littéraire, le poème vient rendre possible la gésine de l’œuvre totale.