Identification

Récits

Ma vie et autres trahisons, Roland Jaccard

Ecrit par Matthieu Gosztola , le Vendredi, 22 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Grasset

Ma vie et autres trahisons, janvier 2013, 195 pages, 16 € . Ecrivain(s): Roland Jaccard Edition: Grasset

 

Roland Jaccard donne prise dans Ma vie et autres trahisons à cette « [j]ubilation du mal-penser » qu’il évoque dans Sexe et sarcasmes (Presses universitaires de France, collection Perspectives critiques, 2009). Ce mal-penser dont il tète le sein avec délectation.

Il fait montre, à chaque page, du plus constant cynisme, et s’en défend de cette manière : « Nous ne disposons que d’une arme pour nous tirer d’embarras : le cynisme. Provisoirement, tout au moins ».

Protection, en somme. Carapace. Qui dissimule mal les traits d’un « romantique », comme le prouve ce passage : « Plus rien n’importait maintenant que la douceur complice de nos étreintes. […] [J]’éprouvais un tel bonheur à avoir une fois encore, et peut-être pour la dernière fois, perçu à travers les vibrations de son corps l’offrande de son âme […] ».

Mais le cynisme est aussi une façon de présenter la vérité telle qu’elle est, sans fard. Et cette mise à nu du réel, de ses chairs, cette lacération de ses jupons n’interdit pas une certaine délicatesse, qui se fait montre jusque dans le style de Jaccard. Car, comme le confiait Hervé Guibert sur le plateau d’Apostrophes, face à Bernard Pivot, « [i]l y a des effets de délicatesse dans la vérité, si cruelle soit-elle ».

Je vais, je vis, Hubert Lucot

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mardi, 19 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, P.O.L

Je vais, je vis, octobre 2013, 672 pages, 25 € . Ecrivain(s): Hubert Lucot Edition: P.O.L

 

Bien sûr quand on écrit on peut toujours affirmer : « C’est trop tôt, c’est trop tard ». Mais pour le lecteur, il n’est jamais trop tard pour voyager dans les mots de l’autre.

Ceux qui l’aiment monteront dans ce train, un train qui vous emportera, vous lecteurs, dans un long trajet de plus de deux ans et de plus de six cents pages. Vous accepterez de suivre Hubert Lucot dans une pérégrination consignée dans un journal de voyage qu’il a intitulé Je vis, je vais qui est une reprise d’une phrase prononcée par sa femme. En fait, l’auteur fait dans ce volume le récit de la maladie et de la mort de celle-ci qui survient alors qu’elle a soixante-quinze ans et lui soixante-seize. Il l’appelle A.M. (que l’on peut entendre comme « Amour et Mort ») et lui, se nomme H.L. Parfois leurs deux noms sont accolés comme s’ils ne formaient plus qu’un bloc, un « Nous » indissociable qui scande une longue vie d’amour. Parfois, ils se découpleront. Il déroulera cet épisode de son existence comme une pelote, narrée jour après jour ou presque, heure après heure ou presque, dans une écriture qui vous surprendra, qui vous dérangera, qui vous troublera mais qui finira par vous conquérir et vous enthousiasmer.

Lettres à Poséidon, Cees Nooteboom

Ecrit par Yann Suty , le Samedi, 09 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Actes Sud, Correspondance

Lettres à Poséidon, traduit du néerlandais par Philippe Noble, octobre 2013, 266 pages, 22 € . Ecrivain(s): Cees Nooteboom Edition: Actes Sud

 

Certains écrivent à leur femme ou à leur maîtresse. D’autres à leur père ou leur mère ou bien à des amis. Certains à un frère, à une sœur, d’autres à un mort ou à un descendant. Beaucoup de combinaisons sont possibles. Cees Nooteboom, lui, a décidé d’écrire des lettres à un dieu, et pas n’importe lequel, Poséidon, le dieu de la mer, que d’autres appellent Neptune.

L’idée lui vient alors qu’il est installé à la terrasse d’un restaurant appelé, justement, le « Poséidon », sur son lieu de vacances. Sur la serviette qu’un serveur lui apporte, il voit le nom du dieu au trident inscrit en bleu, bleu comme la mer au bord de laquelle il vit l’été. Pour lui, c’est un signe (« quelqu’un veut me dire quelque chose, et j’ai appris à obéir à ce genre de signes ») et il décide, une fois qu’il aura achevé le roman sur lequel il planche, de lui destiner des lettres. Ou plutôt, il lui dédie des « petites collections de mots » où il l’informera de sa vie. Il lui relate les petites choses qu’il lit ou qu’il voit, des événements de sa vie. Il lui fait part de ses pensées, d’images qu’il a vues à la télévision. Il s’interroge sur la vie et la mort, ou médite sur les philosophes.

Polaroïds, Marie Richeux

Ecrit par Grégoire Meschia , le Samedi, 09 Novembre 2013. , dans Récits, Les Livres, Recensions, La Une Livres, Poésie, Sabine Wespieser

Polaroïds, octobre 2013, 158 pages, 17 € . Ecrivain(s): Marie Richeux Edition: Sabine Wespieser

 

Les Polaroïds, ce sont d’abord des chroniques radiophoniques de Marie Richeux. Des morceaux de vie qu’elle raconte de sa douce voix dans Pas la peine de crier, l’émission qu’elle présente et produit sur France Culture dans le creux de l’après-midi. L’exercice est déjà poétique. Il s’agit en fait de raconter une image, de voir ce qu’une photographie peut dire. Comme des ekphraseis, des descriptions qui bougent autour d’un foyer lumineux.

Pourquoi des polaroïds ? En bon préfacier, Georges Didi-Huberman tente une théorisation de la pratique en revenant sur la racine du mot « polaroïd » qu’il rattache au verbe « polariser » :

« Polaroïds, donc : “se polariser” sur la texture des choses. S’approcher, se pencher, donner sa place au minuscule. Mais aussi, “polariser” les rapports que chaque chose entretient avec ses voisines : se déplacer, faire changer l’incidence de la lumière, donner sa place à l’intervalle ».

La claire fontaine, David Bosc

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 25 Octobre 2013. , dans Récits, Les Livres, Critiques, La Une Livres, Verdier

La claire fontaine, août 2013, 128 pages, 14 € . Ecrivain(s): David Bosc Edition: Verdier

 

 

Il serait amusant de dresser la liste des écrivains qui dansent et de ceux que la lourdeur habite, et d’une même plume en faire autant des peintres. La claire fontaine est la rencontre de deux danseurs. Il est des livres qui forcent avec style votre porte, qui s’invitent sans que l’on sache de prime abord pourquoi, qui vous bousculent et prennent leur aise, alors votre bonne éducation vous pousse naturellement à les accueillir. A les feuilleter dans un premier temps, pour voir de quoi ils sont faits. Puis à tout reprendre au début, à lire page à page leur nature, à reprendre, à hésiter, à ouvrir vivement les yeux, à les fermer et à écouter avec une grande attention leur musique, pour finir par secrètement se dire qu’ils ont eu raison ne pas vous prévenir.

La surprise est souvent affaire de plaisir, comme ce petit livre de David Bosc qui roule comme le Gave et vous éclabousse en passant. Il est plaisant de se faire mouiller par un tel styliste.