Très rares sont les écrivains qui, dès le seuil de leur œuvre, acceptent de reconnaître leurs dettes à l’égard de leurs prédécesseurs. En général, les auteurs entendent surtout que l’on admire leur puissante originalité créatrice. Dès lors, c’est le travail – plutôt ingrat – de la critique littéraire et de l’exégèse universitaire, que d’indiquer les « sources » auxquelles l’auteur a bu, les influences subies, qu’elles aient ou non été conscientes.
Boualem Sansal salue Thoreau, Baudelaire, Kafka, Gheorghiu, et Buzzati : du beau monde, comme on dit. Certains passages du Train d’Erlingen sont des commentaires de leur œuvre, qui feraient honneur à un critique professionnel. Le roman entrelace de façon subtile deux histoires, aussi fictives, mais pas aussi vraisemblables, l’une que l’autre. Boualem Sansal est un authentique créateur – un des derniers ? – qui ne se réfugie pas derrière la tentation facile de la biographie écrite ou filmée. Les protagonistes sont deux femmes (le mot « héroïne » ne leur convient guère) que tout sépare : le lieu, la fortune (aussi bien la richesse que le destin), le statut social. Riche héritière d’un conglomérat alimentaire, Ute von Ebert vit à Erlingen, une de ces bourgades allemandes où le temps semble s’être arrêté, désormais en proie à une fièvre obsidionale.