Sérotonine, Michel Houellebecq (par Léon-Marc Levy)
Sérotonine – 352 p. janvier 2019 – 22 €
Ecrivain(s): Michel Houellebecq Edition: Flammarion
On savait Houellebecq sombre et déprimé. Mais avec ce livre, il se situe au-delà de toute forme d’espérance. Il nous offre une traversée amère et terrible de notre monde, une sorte de symphonie funèbre à une humanité défunte. Houellebecq a toujours eu des échos romantiques, ici c’est le Winterreise de Schubert qui résonne, le Voyage d’Hiver. Des vers me viennent en mémoire, ceux d’un chant des gardes suisses de 1793 :
« Notre vie est un voyage
Dans l’hiver et dans la nuit
Nous cherchons notre passage
Dans ce ciel où rien ne luit ».
On détestera – violemment peut-être – on encensera – trop sûrement – mais ce livre est, encore une fois, un jalon d’une œuvre d’une cohérence et d’un souffle imparables, une œuvre dont on peut être sûr que dans quelques décennies elle sera un témoignage affolant de notre époque.
Aucun livre de Houellebecq, depuis ses débuts, ne peut être qualifié de grand. Pas même de bon. C’est l’ensemble de ses livres qui présente un intérêt littéraire, comme une chronique désabusée de notre temps. Et Sérotonine n’échappe en aucun cas à la règle. Les méandres des déambulations du « héros » de ce roman (guillemets dus à l’inadéquation du mot et du personnage) sont lents, répétitifs, et disons-le, assez ennuyeux. Mais comme pour Soumission comme pour La Carte et le Territoire, comme pour tous les autres romans de l’auteur, l’ennui du lecteur est un élément constitutif de la création houellebécquienne : il écrit à l’image de notre monde, plat, monotone, itératif, sans début ni fin. Michel Houellebecq est un enfant de l’ennui, de Schopenhauer et de Baudelaire :
« – Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l’Espoir,
Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ».
Cette filiation à Baudelaire est largement audible dans les poèmes – maladroits et touchants – de Houellebecq. L’ennui, dans Sérotonine, celui de Florent-Claude son triste héros, n’est pas seulement psychologique. Il a quelque chose d’organique, de déposé sur le corps, comme des blessures ou des rides. C’est le Spleen. Il boit, il fume comme un dératé, il rate toutes ses amours, il erre dans une vie de répétitions assommantes. C’est un obsessionnel compulsif. Houellebecq aussi qui rabâche inlassablement son constat sur l’homme occidental et sa décadence. On peut fatiguer, on peut bâiller, mais on ne peut pas nier un projet littéraire sans cesse poursuivi, sans cesse ré-illustré.
L’ennui – c’est le cas de le dire – c’est qu’on s’ennuie pas mal à cette lecture. Même si cela est constitutif du style de MH, la construction est maladroite, à la fois linéaire et déséquilibrée, et les pérégrinations du héros finissent par fatiguer. Ses symptômes aussi : homophobie, nihilisme neurasthénique, misanthropie maladive. Le tout dans un style très houellebécquien : à la va-comme-je-te-pousse ou plutôt – à la va-comme-je-parle.
Mais un Houellebecq est désormais un phénomène de société, il est adulé avant même sa parution, curieusement beaucoup plus avant qu’après. Mon ami Eric Poindron – poète de son état – racontait récemment cette anecdote qui, mieux qu’un discours, vous illustrera le statut du phénomène Sérotonine : Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, l’énervé du Corentin et dandy définitif, sortit un soir fort fulminant d’un spectacle théâtral qu’il jugeait fort médiocre. Il croise un critique parisien en vue et ce dernier s’adresse à l’écrivain.
– Alors mon cher Barbey qu’avez pensé de la pièce de X ?
– C’est détestable, abominable et j’en oublie…
– Mais enfin je ne vous comprends pas, LE PUBLIC a adoré…
Et Barbey de répondre, superbe et définitif :
– Oui mais il est bien le seul !
Un alcoolique, un dépressif, un pédophile, des aristos déchus, des paysans abandonnés et miséreux. Non, le monde de Houellebecq, son échantillonnage d’humains, n’incite guère à la liesse. Pas plus que la nostalgie d’un monde perdu – a-t-il jamais existé cher Michel ? – où, par la vertu de la nature, de la campagne, de la vie rurale d’autrefois, les choses et les gens étaient beaux, la vie était plus belle. La Normandie devient une sorte de Paradis perdu et retrouvé ! Houellebecq est un réactionnaire, au sens le plus fort du terme. Il n’épouse rien de son temps, seul le passé, la ruralité, les paysans trouvent grâce à ses yeux. Même le romantisme de son personnage est un effet de sa neurasthénie passéiste.
Car, on l’a dit, Houellebecq est romantique. Florent-Claude se meurt d’amour. Pas pour une fille réelle, surtout pas. Pour une fille disparue vingt plus tôt. Encore l’obsession du passé. Et de cette mélancolie Florent-Claude tire des conclusions sombres et définitives par une généralisation finalement amusante : « Plus personne ne sera heureux en Occident. Nous devons aujourd’hui considérer le bonheur comme une rêverie ancienne, les conditions ne sont tout simplement plus réunies ».
On en pensera ce qu’on voudra. Les lecteurs rétifs à MH le resteront. Les groupies le resteront. Mais il est une chose qui pourrait les mettre d’accord : Houellebecq compte de toute façon dans son temps littéraire. Comme s'il était un vrai écrivain ?
Léon-Marc Lev
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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