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Les Livres

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Jean-Chat Tekgyozyan, par Cathy Garcia

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 05 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays de l'Est, Roman

La ville en fuite, Roman d’une jeunesse effrénée à Erevan, Belleville éditions, octobre 2018, trad. arménien Mariam Khatlamajyan, 176 pages, 18 € . Ecrivain(s): Jean-Chat Tekgyozyan

 

Pas facile de faire une critique de La ville en fuite, probablement du fait que tout comme la ville, le roman dans son entier semble nous échapper en permanence, quand on en a attrapé un bout et qu’on commence à suivre le fil – bim ! – on se retrouve sens dessus-dessous et il faut à nouveau chercher un bout de fil auquel se raccrocher mais en vain, car tout le roman est un nauséeux mélange de réel et de rêve-cauchemar hallucinatoire, nous sommes enfermés dans la tête des deux protagonistes principaux, Gagik et Grigor.

Le roman est divisé en deux parties, deux versions décousues d’une même histoire, à charge au lecteur d’essayer d’en tirer quelques bribes de cohérence. L’écriture vacille, se pose pour aussitôt réapparaître ailleurs, retourne sur ses pas et on finit par ne plus chercher à comprendre tellement on a le tournis. Alors, on se laisse en quelque sorte malmener, bousculer, l’humour est là et la poésie aussi, notamment dans les magnifiques passages qui parlent de la grand-mère de Gagik et son incroyable chevelure dotée elle aussi d’une vie propre :

L’enfant d’Ingolstadt, Dernier Royaume, Tome X, Pascal Quignard (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 02 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Grasset, Histoire

L’enfant d’Ingolstadt, Dernier Royaume, Tome X, septembre 2018, 288 pages, 20 € . Ecrivain(s): Pascal Quignard Edition: Grasset

 

« C’est ainsi qu’il faut débuter les chapitres dans les histoires qu’on note : très vite. Comme d’un jet. Comme la première des lettres. Comme un taureau qui fonce.

Avançant le pied gauche dans le jour et le monde, pied droit scellé pour toujours dans la porte d’Eden ».

L’enfant d’Ingolstadt est la nouvelle suite d’une odyssée savante, goûteuse, troublante, inspirée, le nouvel opus d’une encyclopédie unique, et vibrante comme une pièce musicale de Marin Marais. Il y a seize ans, Pascal Quignard, nous offrait le premier acte de cette fresque littéraire, musicale, et historique, à la langue inspirée : Je ne cherche que les pensées qui tremblent.

Aujourd’hui, tel un augure, il découpe à l’aide de sa plume sacrée, un rectangle dans ce Royaume où se mêlent la Grèce, la Chine, des musiciens, des peintres, les rêves, et le faux et son attrait : Comme l’eau écrase le plongeur qui a gagné le fond de l’océan, le silence écrase l’homme tandis qu’il est en train de regarder ce qui le sidère.

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, Zora Neale Hurston (par Fanny Guyomard)

Ecrit par Fanny Guyomard , le Vendredi, 02 Novembre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Zulma

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu, septembre 2018, trad. américain Sika Fakambi, 336 pages, 21 € . Ecrivain(s): Zora Neale Hurston Edition: Zulma

 

« L’amour ! C’est juste ça qui nous fait toutes à tirer à traîner à suer à trimer de peut pas voir au matin jusqu’à peut pas voir au soir. C’est de par ça que les anciens d’avant y disent que d’être un imbécile ça va pas jamais tuer personne. Ça va juste de faire à suer » (p.45).

Mais leurs yeux dardaient sur Dieu est un roman d’apprentissage, celui d’une femme métisse dans la Floride du début de siècle, qui doit s’affirmer face aux attentes sociales d’autant plus contraignantes lorsqu’on est femme, de couleur, femme du maire par exemple ou approchant d’un certain âge. Janie apprend aussi l’amour, à travers trois mariages lui faisant traverser une palette d’états : de la résignation innocente à la désillusion, de la colère contenue au désespoir, de la jalousie inquiète à l’euphorie.

Ce roman est une réflexion sur la liberté, le libre arbitre n’étant possible qu’avec une dose de curiosité et de courage. A cet égard, Zora Neale Hurston construit un personnage fort, qui brave les croyances et le regard pesant de la société cherchant à lui dicter sa conduite.

En lieu et place, Olivier Domerg (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Vendredi, 02 Novembre 2018. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

En lieu et place, Olivier Domerg, L’Atelier contemporain, juin 2018, postface Michael Foucat, 144 pages, 20 €

 

Obsession

Obsession est le mot qui m’est venu très vite à l’esprit pour titrer ces quelques lignes que je veux consacrer au dernier livre d’Olivier Domerg. En effet, c’est pour moi le mot convenable pour résumer le livre et éclairer ainsi un principe en littérature que je trouve essentiel. Oui, comme en musique, j’aime l’ostinato, qui correspond pour ce qui me concerne à la tentative et à la méthode les plus difficiles, car ces dernières jouent sur des contraintes très fortes. Ici, l’obsession qui fait le thème principal, c’est la place Ducale de Charleville-Mézières. Car hormis quelques débordements vers des rues adjacentes, la totalité des 15 mouvements de l’ouvrage revient à décrire et à partager par écrit cette place emblématique de la ville de Rimbaud. Obsession de la place, qui fait place, la place au poème, qui s’en fait le lit, son foyer, sa focale. En ce sens, la construction de ce recueil reprend, je crois, les formes musicales d’un certain minimalisme américain, où le thème est développé jusqu’à produire de simples éléments d’expression répétés et qui varient peu.

Frère d’âme, David Diop (par Dominique Ranaivoson)

Ecrit par Dominique Ranaivoson , le Mercredi, 31 Octobre 2018. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Afrique, Roman, Seuil

Frère d’âme, août 2018, 176 pages, 17 € . Ecrivain(s): David Diop Edition: Seuil

 

Les quatre années consacrées au Centenaire de la Grande Guerre ont déclenché une véritable fièvre éditoriale et on pourrait en conclure que tout a été réévalué, reconsidéré, que tous les arts se sont déployés pour ce temps de célébration. Or, voici, in extremis, un roman qui ne vient pas se surajouter aux autres puisqu’il réussit à surprendre et subjuguer.

Ce long monologue est la parole d’Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais illettré rapatrié à l’Arrière pour s’être montré plus sauvage encore que ce qui était demandé par une France qui pourtant, dit-il, « a besoin que nous fassions les sauvages quand ça l’arrange » (25). Au milieu des soldats traumatisés qui hurlent dans la nuit, pris en main par le médecin, il cherche à comprendre comment, dans la boue et la violence, entre « les Toubabs et les Chocolats » (46), il a basculé. Il dit ce qu’il a compris de la guerre, de lui, des autres, de la vie dans un récit traversé par un lancinant « j’ai su, j’ai compris » et par l’invocation « par la vérité de Dieu », comme l’enfant-soldat de Kourouma dans Allah n’est pas obligé (2001).