Identification

Les Livres

La Maison, Julien Gracq (par Anne Morin)

Ecrit par Anne Morin , le Mardi, 30 Mai 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Récits, Editions José Corti

La Maison, Julien Gracq, éditions Corti, avril 2023 (récit inédit, incluant le récit, son manuscrit et la postface), 77 pages, 15 € . Ecrivain(s): Julien Gracq Edition: Editions José Corti

 

La Maison, ce titre banal et qui recouvre un terme familier, rassurant. Un abri, une terra cognita. Dans ce court récit, Julien Gracq ménage la montée en puissance de l’inconnu, de l’autre côté des choses.

La maison à la façade austère, biscornue, mangée de végétation dont pourtant elle ne cesse d’émerger, là où rien ne paraît habitable, où tout se retranche, du paysage et de la vie, la maison symbole de stabilité, de durée, de plain-pied, reprise par les herbes folles, les lierres et la végétation accrochés à elle sans pour autant la faire sombrer, peu à peu s’anime.

Pour le narrateur, il s’agit d’en avoir le cœur net – belle expression pour ce cheminement à travers paysages et climats variés sur une distance pourtant très restreinte, pour cet égarement, puisque cette entrée en matière, où celui qui guette, qui chasse, à l’affût, se mue peu à peu en proie, et le pouvoir, la force d’attraction de la maison en guet-apens.

Londres, Virginia Woolf (par Stéphane Bret)

Ecrit par Stéphane Bret , le Mardi, 30 Mai 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Récits, Rivages

Londres, Virginia Woolf, Rivages, avril 2023, 204 pages, 9,20 € . Ecrivain(s): Virginia Woolf Edition: Rivages

 

Dans ce recueil des écrits consacrés à la ville de Londres par Virginia Woolf, le lecteur en quête d’informations purement touristiques en sera pour ses frais. En revanche, la description des sensations, des états d’esprit générés par des promenades impromptues dans Londres et ses quartiers les plus pittoresques nous entraîne dans les méandres de la vie intérieure de l’auteure de Mrs Dalloway. Ainsi, l’activité de courir les rues de Londres nous transforme, nous pousse à nous soumettre à des désirs inédits :

« Le soir, lui aussi, nous offre cette irresponsabilité qui vient avec les ténèbres et la lumière électrique. Nous ne sommes plus tout à fait nous-mêmes (…) Nous nous dépouillons du moi que nos amis nous connaissent et intégrons cette vaste armée républicaine des randonneurs anonymes, dont la compagnie est si agréable après la solitude de notre chambre ».

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Vendredi, 26 Mai 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Le Roitelet, Jean-François Beauchemin, Éditions Québec Amérique, janvier 2023, 144 pages, 16 €

« À ce moment je me suis dit pour la première fois qu’il ressemblait, avec ses cheveux courts aux vifs reflets mordorés, à ce petit oiseau délicat, le roitelet, dont le dessus de la tête est éclaboussé d’une tache jaune. Oui, c’est ça : mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête. Je me souvenais aussi que le mot roitelet désignait un roi au pouvoir très faible, voire nul, régnant sur un pays sans prestige, un pays de songes et de chimères, pourrait-on dire.

Une semaine plus tard, tandis que nous nous amusions à sauter du petit quai aménagé sur la rive de l’Étang-aux-Oies, mon frère a éprouvé un bref malaise qui durant quatre ou cinq secondes lui a fait perdre conscience. J’ai vu ce corps déjà vigoureux s’enfoncer comme une pierre dans l’eau bleutée. Quelques mouvements de brasse ont suffi pour le rejoindre. Il ne m’a pas été tellement plus difficile de l’agripper et de le ramener, sain et sauf, sur la plage. Mais les paroles qu’il m’a soufflées à l’oreille dès son retour à la vie consciente demeureront elles aussi à jamais inscrites sur le petit tableau noir accroché au fond de ma mémoire : “Pourquoi m’as-tu sauvé ?” a-t-il dit. Et c’était comme si j’avais ramené à la vie un fantôme dont les chaînes allaient tinter, désormais, dans les moindres recoins de ma vie, de ma raison, et derrière chacun de mes pas » (p.14).

La Dernière Colonie, Philippe Sands (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Vendredi, 26 Mai 2023. , dans Les Livres, Recensions, La Une Livres, Iles britanniques, Roman, Albin Michel

La Dernière Colonie, Philippe Sands, Albin Michel, septembre 2022, trad. anglais, Agnès Desarthe, 240 pages, 21,90 € Edition: Albin Michel

 

Philippe Sands, avocat international franco-britannique, relate dans cet ouvrage très documenté le combat qu’il a mené aux côtés et au nom des habitants de l’archipel des Chagos déportés avec une extrême brutalité au début de la nuit du 27 avril 1973 par les autorités anglaises vers l’île Maurice. Son dessein, à la fois documentaire et littéraire, est explicite :

Ceci est une histoire vraie, livrée pour la première fois lors d’une série de conférences que je donnai à l’Académie de droit international de La Haye au cours de l’été 2021. Ayant pris part à certains des événements relatés ici, j’ai conscience de n’être pas un observateur impartial, et je comprendrai que les faits, examinés sous un autre angle, puissent donner lieu à des interprétations différentes. J’ai essayé d’élaborer un récit personnel et néanmoins aussi juste et équitable que possible.

Hommage à Philippe Sollers

Ecrit par Philippe Chauché , le Jeudi, 25 Mai 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Gallimard

Edition: Gallimard

Photographie Francesca Mantovani © Éditions Gallimard.

-

Je ne tiens pas du tout à mourir, mais, s’il le faut physiquement, j’accepte, comme prévu, qu’on enterre mes restes au cimetière d’Ars-en-Ré (Sollers en Ré), à côté du carré des corps non réclamés, des très jeunes pilotes et mitrailleurs australiens et néo-zélandais, tombés là, en 1942 (pendant que les Allemands rasaient nos maisons), c’est-à-dire, pour eux, aux antipodes ;

Simple messe catholique, à l’église Saint-Etienne d’Ars, XIIe siècle, clocher blanc et noir servant autrefois d’amer aux navires, église où mon fils David a été baptisé ;

Sur ma tombe, 1936-20…, cette inscription : Philippe Joyaux Sollers, Vénitien de Bordeaux, écrivain ;

Si un rosier pousse pas trop loin, c’est bien. (Philippe Sollers).

Philippe Sollers, que nous pensions immortel, s’est éteint. C’est une perte immense pour la littérature et pour l’édition. De Tel Quel à L’Infini, d’Une curieuse solitude (1958) à Grall (2022) qui s’ouvrait sur cette parole de Jean : « Alors entre aussi l’autre, arrivé le premier au tombeau. Il voit, et il croit », il aura marqué son temps, qui est devenu le nôtre.