Crépuscules, Claude Cailleau (par François Baillon)
Crépuscules, Claude Cailleau, Éditions du Petit Pavé, février 2023, 76 pages, 10 €
On ne peut douter du fait que Claude Cailleau (Cl. C., tel qu’il le signe la plupart du temps) aura dédié son existence à la littérature : à travers l’enseignement, d’une part, à travers correspondances et rencontres avec des écrivains-phare (Julien Gracq, Henri Troyat, Roger Martin du Gard…) ; cependant, cet amour et ce dévouement se sont prolongés à travers la création d’une revue de poésie (Les Cahiers de la rue Ventura, 2008-2018), ainsi (et surtout) qu’à travers sa propre écriture.
Si Cl. C. a ouvert sa carrière littéraire avec un premier roman couronné par le Prix de l’Académie Française (Stef et les goélands, 1971), c’est en poésie qu’il œuvrera le plus. Ses textes ne se limitent d’ailleurs pas à ce genre, frôlant au contraire différentes formes, y mêlant volontiers le récit – comme dans Et je marche près d’Elle, qui, non content d’arborer les aspects d’une autobiographie, fait s’entrecroiser les temporalités, augmentant le niveau d’imagination propre à faire revivre ce qu’a été (ou ce qu’est) sa vie et à en donner une image reconstitutive fixe – ce que permet l’impression sur le papier.
Le temps, la poésie, l’autobiographie, se retrouvent tout autant dans Crépuscules, dont Claude Cailleau dit : « je pense, à mon modeste niveau, en avoir fini avec la poésie » (p.67).
Ce poème autobiographique (appelons-le ainsi) est une longue phrase étendue sur une trentaine de pages, tentant de parcourir la vie du poète en s’en tenant à l’essentiel, et plus exactement, à ces deux périodes fondamentales : l’enfance (crépuscule du matin) et la vieillesse (crépuscule du soir). La forme du poème ne peut échapper à l’influence de Mallarmé, qui y est même présent : « (quelque part dans Paris – rue de Rome / la cheminée – fantôme habitué des / Mardis sous le portrait à l’image / du Maître vieil homme brûlant au feu / du Poème) » (p.20). Claude Cailleau reconnaît dans ses notes annexes : « Le Pléiade de Mallarmé est sans doute celui qui sort le plus souvent de ma bibliothèque » (p.64). Cependant, si Un coup de dés ne revêtait pas de caractère testamentaire pour Mallarmé (sa première publication a précédé de près la mort du poète, soulevant quelques conjectures chez les critiques de l’époque), la seule déclaration de Claude Cailleau, citée plus haut, admet qu’à son égard, l’écriture de la poésie – si significative dans son existence – se termine là. D’autre part, Mallarmé aurait préféré qu’on ne lise pas ou qu’on oublie la note annexe à son Coup de dés (une commande de la revue Cosmopolis, où le poème parut pour la première fois en 1897) ; Claude Cailleau souhaite au contraire qu’on se souvienne de ses préconisations, pour mieux se promener, pour mieux se guider dans le déroulement de cette phrase, dont il attend que le lecteur la fasse sienne. Du reste, il accompagne l’œuvre de ses propres notes, d’une teneur poétique tout aussi prégnante : il nous éclaircit sur les images qui l’ont traversé en cours d’écriture, images de sa vie pour la plupart, et finalement, nous livre ses réflexions sur l’acte d’écrire, la gestation du poème, la patience et la disponibilité requises pour entrer dans un texte dont la cohérence fut pensée dès avant le premier mot apposé.
La vie et l’écriture sont totales et totalement mêlées dans ce livre. Telle est la volonté de Cl. C. Tout en assumant pleinement son influence, il a réussi à créer cette vague musicale mouvant entre le point du jour et son déclin – incontestablement le résultat d’une écriture longtemps mûrie et travaillée, sondée avec passion –, avec pour seul appui véritable la poésie elle-même, les mots, réduits à leur plus pur squelette. En cela, la mission est accomplie : le lecteur ne pourra se contenter que de l’essentiel et ne manquera pas d’être retenu par certains accents au long de l’exploration : « poindre / une panique inexplicable / informulée / vacillant dans la main / qui tenant / le stylo / s’est posée / sur l’image » (p.33). « Poète vieux rêveur berné / le front levé vers la lumière / sondant à la toucher / la mousse immaculée / d’un nuage d’albâtre / flottante figée / gravée dans l’autrefois des choses / alors qu’une enfance s’agite / encore / dans les abîmes de l’Image » (p.40/41).
Pour conclure, nous ne pouvons que citer Jean-Marie Alfroy – écrivain publié chez Gallimard dans les années 1980, décédé en 2022 –, auteur de la postface de ce livre : « Cela valait la peine d’écrire, ne serait-ce que pour comprendre qu’on ne comprendra jamais rien à sa vie, à son destin. Nous en venons tous un jour à ce lieu de modestie où tous les ego se fondent dans la même conscience universelle » (p.74).
François Baillon
Claude Cailleau publie un premier roman en 1971, Stef et les goélands (Julliard), couronné par le Prix de l’Académie Française l’année suivante. Après une carrière dans l’enseignement, il reprend l’écriture, essentiellement poétique, en 1999, et crée la Revue Les Cahiers de la rue Ventura (2008-2018). Ses textes ont paru dans plusieurs revues et chez plusieurs éditeurs. La Revue Encres Vives lui a consacré un portrait en 2016.
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