Charlie Roquin, Les maîtres de Bayreuth (par Anne Morin)

Ainsi Moshe Griebnisch, célèbre critique qui chaque année honore le festival de Bayreuth, rendant sur la Tétralogie des avis qui font autorité et inclinent l'opinion, tel le pouce baissé ou levé d'un empereur romain signifiant grâce ou mort pour les combattants que sont chanteurs, chef d'orchestre, metteur en scène : "Il connaissait la musique qui pince l'âme, avait sous-estimé la singularité de celle de Wagner qui ne se contente pas de vous toucher, elle vous jette tout entier dans un flot continu d'harmonies, de couleurs dont chacune, si vous aviez le temps de l'examiner, en dévoilerait dix autres. Il n'y a pas de pause chez Wagner, aucun espace pour applaudir les morceaux de bravoure. Du début d'un acte à sa fin, tout roule comme une vague, vous soulève, vous rend bien plus grand que vous ne l'êtes" (p.81).

Moshe, l'exécuteur des grandes œuvres a, tel Siegfried, son "talon d'Achille" : il n'entend pas la musique : les chanteurs sont insuffisants, "à côté" du rôle ou, au contraire magnifiques, mais la justesse de la voix, et surtout l'accord parfait ou le contrepoint et l'impression que la voix donne aux mots, le transport de l'émotion par la voix, il ne l'éprouve pas, ce qui constituait pourtant le dernier mot de Wagner avant les représentations : "Dernière prière à mes chers amis ! Clarté ! Les grosses notes viendront toutes seules, l'important ce sont les petites notes et votre texte" (p.192-193, notes bas de page). L'inspir…

Il est heureux, nous dit le roman, que la musique de Wagner résiste à toute forme de trahison, chantée, orchestrée, scénique… Les rats de Lohengrin, les bas résille de Klingsor…

Sous couvert d'intrigue policière – deux meurtres à Bayreuth – et de joute oratoire, ce roman montre qu'en dépit de toutes les entreprises d'assassinat montées contre son œuvre Wagner oppose une forme de résistance vitale à toute tentative de travestissement ou d'infantilisation : Le Ring, un conte de fées ? Ou ainsi que l'exprimait Nike Wagner : " (…) La tétralogie relate dans son entier le drame d'enfants exploités et perdus" (L'avant-scène Opéra, 1993, cité par l'auteur). Les Nibelungs en sept nains, Siegfried en Peter Pan ? Parsifal en "enfant perdu" ? A suivre de très, très loin… D'ailleurs, on ne sait pas très bien si la balle n'était pas réellement "destinée" (p.204) à Petula, la directrice du festival qui en meurt. "Tout est bien qui finit bien".

Anne Morin

Charlie Roquin est né à Paris où il vit et travaille actuellement. Dans Métadata, son premier roman, il dressait une critique du monde de l'entreprise et de la société de surinformation. Le Roi, paru en 2022 aux éditions du Cherche Midi, raconte l'improbable succès d'un prétendant au trône dans la France contemporaine.