Les coups de griffe d’Alain Faurieux-2
La prochaine fois que tu mordras la poussière (Navet d’exception), Panayotis Pascot, 2023
J’ai lu LE livre de la rentrée, le 1er en termes de marché global (dixit Libé), LA surprise éditoriale. J’aime pas les livres tout fins, j’aime pas les comiques, d’ailleurs PP est il un comique ? Et quel est son nom, son prénom ? Est-ce sincère, « vrai » ? Qu’est-ce que cela à voir avec écrire ? Encore un machin du nombril. Particularité ? C’est écrit jeune (PP EST jeune, ok). Et il écrit souvent bite. Et aussi des choses comme :
« Il ne m’a pas jugé, a essayé de m’accompagner, mes frères aussi, ils m’ont partagé leurs expériences ». Ou « Je mets le lait avant les céréales sûrement parce que tout le monde fait l’inverse, et je me place dans la baignoire avant de faire couler l’eau ».
Après l’Homo Erectus Le journal d’Homo Dépressif. La haine du père ? Oh, ouais que des fois y se regardent mal. C’est comme le reste, la haine c’est mou chez pana.
Plus mauvais qu’Ernaux, puissance dix.
Une façon d’aimer (Navet colonial), Dominique Barbéris, 2023
Le prochain Goncourt ? Pourquoi pas. C’est bien écrit, belle maîtrise des temps (utilisations et détournements), des descriptions et des sentiments. Et rusé. Dominique B. est née en Afrique, tout comme cette cousine Sophie avec l’aide de laquelle la narratrice (qui n’a pas connu l’Afrique) raconte l’histoire de tante Madeleine (Proust, une histoire familiale est aussi en lice). L’Afrique de Madeleine est sous le signe des « peut-être », « on disait », « je crois », « il est possible ». La plupart des éléments visiblement amenés par la narratrice, vision d’un temps, d’un lieu qui n’existent que pour elle.
C’est élégant comme le look Michèle Morgan, futur film oscarisable, avec la nostalgie et tout et tout. Pas de grosses, de trans, de pédés ou de Nègres, ils sont en arrière-plan comme les cocotiers ou les oiseaux. C’est soigneux, lissé, tout propre et sentimental. Ça ne fera peur à personne. « – On marchait en silence, m’a dit Sophie. Maman n’a jamais parlé beaucoup. Ces promenades en silence le long de la mer, c’est un de mes souvenirs. Peut-être que le silence est une façon d’aimer – c’est une phrase que j’ai lue, ou que j’ai entendue. Je ne sais plus ».
Qu’est-ce que cela nous amène ? Je n’en sais rien. Lu en une traite et laissant une étrange impression. Un peu comme un navet proposé par un chef étoilé : une variante noble, qui se serait perdue sans la prévoyance d’un héroïque maraîcher-résistant, travaillé au couteau comme un fruit exotique après basse cuisson, accompagné de quelques grammes d’étranges matériaux, admirablement dressé sur la magnifique assiette Goncourt.
Sans doute.
Le goût des femmes laides (Veau d’or aux navets), Richard Millet, 2007
Passons les maintenant habituelles démangeaisons de l’homme, Arabes, Nègres à l’haleine et à l’humanité douteuses, sa haine des femmes, la décadence, les gauchistes, le rock… Le problème du « Goût » c’est, dès le titre, l’écriture. Le goût des femmes laides, provocation ? Soit, il faut attendre les deux tiers d’un petit volume rachitique pour une tentative avortée (coucou Richard) d’éclaircissement. Nous ne saurons jamais s’il s’agit là d’un goût pour les femmes laides, du goût qu’ont les femmes laides lorsque l’on y goûte, du goût qu’elles professent en matière amoureuse…
Passons les affèteries, les opinions (affichées ou sous-entendues), les jugements, l’ego… ceci est un mauvais livre. Les phrases longues, complexes étaient une particularité de Millet. Ici elles ne sont que lourdes : incises hasardeuses, renvois flous, inversions bancales (un comble venant de l’homme pour qui « inverti » contient un univers), images et anecdotes répétées comme par fainéantise.
Millet écrit-il dans les limites littéraires de ce double, écrivain raté mais admirable de laideur ? « Rares d’ailleurs les femmes qu’on puisse dire belles, presque toutes étant en quelque sorte des laiderons qui s’ignorent, avant de tenter d’apporter en aimant la preuve du contraire ». « Longtemps je me suis effrayé moi-même devant le miroir ». Vraiment ?
Quelle surprise de voir le pourfendeur de toute « modernité » (quoi qu’il entende par là, anneaux nasaux ou théorie du genre), tomber dans l’enfantillage et le puéril d’une « scène fondatrice » où sa mère lui révèle sa laideur. Puérilité encore ces lassantes énumérations de grosses, d’obèses, naines et autres handicapés hantant le métro ou les rues de Paris, marques divines au flanc d’une société du laisser-aller envahies par le laisser-aller. Tout en prônant son amour des mots, son regret de les voir disparaître, Millet utilise un vocabulaire commun, voire quelconque. Le double de Lauve le pur, le créateur de La Gloire des Pythre, d’œuvres où la noirceur du paysage et des êtres, où le style surtout, parviennent à l’universel ; nous gribouille là un pensum de sous-préfecture. « Celui qui se découvre laid, surtout un enfant, est voué à se sentir coupable et à chercher jusqu’à la fin une absolution qui ne viendra pas. Il expiera aussi ce dont il est innocent. C’est une des formes les plus terribles du péché originel, ou, pour reprendre le vocabulaire des athées, de l’injustice ». Sa grand-mère disait qu’on ne pète jamais plus haut que son cul ; la mienne (elle aussi en patois), sans doute plus fine observatrice, disait d’untel ou d’un autre qu’il pétait plus haut que son cul.
Belle couverture cela dit.
Humus (Navet AOC), Gaspard Koenig, 2023
Un jeune limougeaud pris au piège des fortunes artificielles, un ingénieur agronome pris au piège du retour à la terre, leur amitié/amour pris au piège de l’Histoire. Une satire nous dit-on. De quoi ? Du petit monde des « élites », investisseurs et movers divers ? Des éco-combattants à la petite semaine ? Des marginaux vieillissants ? Une satire ce serait acide-au moins un peu, le trait sec, les portraits croqués à souhait. Être (très peu) méchant avec Pesquet c’est tirer sur l’ambulance. Pas plus.
S’agirait-il de Science-fiction ? Le seul indicateur est une pichenette aux « rebelles d’Agro » de 2022, fournissant la trame temporelle des mésaventures suivantes. Koenig semble penser qu’hors de ses deux créatures, rien n’évolue. Pas de changements politiques, de mouvements de population, de guerres, de catastrophes, la bulle se suffit. La pensée politique de Koenig est peut-être là.
Prétentions de nouveau Stendhal, de Proust de son début de siècle ? Peu importe, dès la couverture la chose échoue sur les bas-fonds d’une espèce de Pétainisme moqué par un Poujadiste. C’est dire sa modernité. Aucun extrait ne montrera le désintérêt total généré par ce livre. Tout y est égal, poussif, poussiéreux.
Reconnaissons à l’auteur sa connaissance d’un milieu qu’il cultive tout en prétendant le dénoncer. Son public-cible est visiblement composé des futurs Jurys de prix littéraires. Regardez, ô mes pairs, comment nous pouvons sourire ensemble de notre vacuité. Regardez comment nous allons pouvoir en tirer bénéfice vous et moi. Quelle belle mise en abîme : une arnaque racontant une arnaque. Car la particularité de Koenig est là : son écriture est à la mesure de ses idées. Ringard, pas au deuxième degré, ou au troisième, au tout premier. Les pages finales en sont une démonstration involontaire. De l’enlacement lombric de nos deux braves gars (tiens Kev’ t’es arrivé là comment ?) à la marginalité (budget conséquent, ferme…) post-presqu’apocalypse, tout est plus fragile qu’un canapé Conforama d’occasion. J’ai oublié de dire que Kev et Arthur sont passionnés par les vers de terre. Au sujet desquels on apprend presqu’autant de choses que dans un livre de Werber.
Normalement l’humus c’est pas d’la bouse.
Alain Faurieux
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