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Les Livres

Terres, Marwan Hoss (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Juillet 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Arfuyen

Terres, Marwan Hoss, éditions Arfuyen, juin 2023, 96 pages, 13 €

 

Clarté

Si je pouvais retenir une seule impression sensible du dernier recueil de poésie de Marwan Hoss, je dirais : clarté. Clarté de la langue tout d’abord, hors des modes de l’instant, clarté du propos lequel se satellise sur très peu de concepts, juste assez cependant pour que l’on puisse réfléchir sur des questions graves : le désir, le destin, l’exil, la terre étrangère, le corps, la mort. Mais ceci dans une clarté, une transparence, une grâce (celle des Papiers Découpés de Matisse, ou la représentation des fleurs par exemple, chez Georgia O’Keeffe ; les roseaux, les étourneaux, les palmiers, etc., du poème, ici traités à la manière de ces peintres).

Cette expression cherche la légèreté, ne gardant aucune pesanteur idéologique, préférant le maigre que le gras, peu d’adjectifs préférés à l’ornementation. Se tenir devant une vision ductile qu’il faut saisir sans précipitation, et cela de deux manières : orientale et occidentale, mélange complexe et aventureux.

Étude d’éloignement, Emmanuel Moses (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Vendredi, 30 Juin 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Étude d’éloignement, Emmanuel Moses, Gallimard, mai 2023, 80 pages, 14,50 € . Ecrivain(s): Emmanuel Moses Edition: Gallimard

 

Une quarantaine de livres à ce jour, dont vingt-deux livres de poésie. Voici le dernier, assez bref mais dont la densité révèle des aspects nouveaux, comme ce retrait pour mieux voir, comme si une focale du poète permettait ainsi de mieux traiter tout objet, tout sujet. Faut-il s’écarter du chemin pour mieux saisir le côté complexe du monde ? Faut-il à ce point s’éloigner, au risque de perdre ce que l’on aime ?

Le poète Moses dont j’avais aimé plusieurs livres (Quatuor ; Cette lumière dans cette obscurité ; Monsieur Néant) s’attache à analyser son rapport au réel, entre mentions intimes et aspects fictionnels. D’une fenêtre, d’un surplomb, il suit l’avancée de personnages qu’il s’attribue ou non, « hôtes de passage », « souvenirs et notes » d’un génie musical, « de la fenêtre de ma cellule ». Même « Monsieur Néant » est du voyage : petit blason de référence et autocitation de son auteur.

Quand dire, c’est vraiment faire. Homère, Gorgias et le peuple arc-en ciel, Barbara Cassin (par Marie-Pierre Fiorentino)

Ecrit par Marie-Pierre Fiorentino , le Vendredi, 30 Juin 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Quand dire, c’est vraiment faire. Homère, Gorgias et le peuple arc-en ciel, Barbara Cassin, Fayard, 2018, 256 pages, 19 €

Le titre, comme les premières lignes de ce livre de Barbara Cassin, sont un hommage à l’ouvrage de J.-L. Austin, Quand dire, c’est faire (How to do things with words), point de départ de sa réflexion sur les pouvoirs du langage. Le philosophe anglais a montré que, dans certains cas, le langage ne remplit pas une fonction descriptive, affirmative ni aucune autre jusque-là identifiée mais constitue une action en lui-même. Par exemple les formules « je promets », « je parie », « je baptise », « je vous déclare mari et femme », sont en même temps des actes qu’Austin a nommé des performatifs (ou énoncés performatifs), to perform indiquant en anglais le fait d’agir efficacement ; on parle en français de performance.

Cette capacité performative du langage, B. Cassin, forte de sa formation d’helléniste et de philosophe classique, va l’explorer en repartant de l’un des textes fondateurs de notre culture, L’Odyssée. Œuvre poétique décriée en tant que telle par Platon, elle contient pourtant ce que la philosophe identifie comme un « performatif païen », la déclaration d’Ulysse à Nausicaa, « Je te prends les genoux ».

Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet (par Patryck Froissart)

Ecrit par Patryck Froissart , le Jeudi, 29 Juin 2023. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Editions Maurice Nadeau

Flamboyants au crépuscule, Christian Dufourquet, Editions Maurice Nadeau, Les Lettres Nouvelles, mai 2023, 110 pages, 16 € Edition: Editions Maurice Nadeau

Un homme, dont on apprend en suite de lecture qu’il est écrivain, allongé, sur un lit : telle est la position initiale du narrateur qui se dédouble en un IL qu’il met en scène dans la rétrospection, par une succession d’analepses dénuées d’ordre chronologique, de ce qui lui revient aléatoirement, de façon décousue, des moments les plus signifiants du cours de sa vie, flamboyants au crépuscule. Il gît là immobile, plausiblement incapable de bouger, sauf peut-être pour écrire, transcrire ce que perçoit son esprit seul pouvant se mouvoir au travers de l’espace et du temps. On appréhende qu’il plane entre la vie et la mort.

Il ouvre les yeux et se voit coincé à mi-hauteur d’une échelle qui paraît s’agrandir dans les deux directions. En haut, un plafond démesurément étréci où pend peut-être une ampoule à atteindre. En bas, un monde d’ombres qui se chevauchent, les vagues d’une mer irréelle. Et lui, au milieu ou à peu près, un insecte à la carapace chitineuse, qui se demande, si tant est que ses antennes recroquevillées autour de son corps embrumé lui procurent une conscience a minima de son environnement, ce qu’il fait là, en suspens entre deux mondes…

L’enfant thérapeute, Samuel Dock (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Jeudi, 29 Juin 2023. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

L’enfant thérapeute, Samuel Dock, éditions Plon, janvier 2023, 333 pages, 20,90 €

Dans son dernier ouvrage dédié à Sœur Térèse, celle qui a su protéger la mère, et à Frédéric, le thérapeute de Samuel, L’Enfant thérapeute, que certains pourraient assimiler à une autobiographie ou à une autofiction alors qu’en fait il s’agit, de notre point de vue, d’un véritable roman, Samuel Dock aborde un sujet épineux qui peut paraître éprouvant à certains lecteurs. Alors comment se fait-il que ceux qui s’y risquent peuvent prendre un tel plaisir à cette lecture ? Et qu’est-ce qui nous permet d’affirmer que ce texte a toutes les caractéristiques propres à une fiction ? La seule explication que nous pouvons avancer est que ce qui, nous, nous importe et nous emporte, c’est la qualité incontestable de l’écriture, la force des mots, les formules inédites, les oppositions puissantes, les anaphores, les insistances persistantes, les images insolites, sans omettre les constantes interrogations, les répétitions volontaires, les grossièretés délibérées, les phrases très courtes qui fouettent, les titres des chapitres qui édifient une armature. En mettant le sujet à une certaine distance afin d’éviter de tomber dans l’écueil de la lamentation, nous pénétrons au cœur du travail minutieux de broderie que Samuel effectue tout au long de ce récit. Il utilise toutes les ressources de la stylistique et de la syntaxe pour traduire au plus juste son propos de romancier. À chaque étape, l’auteur insuffle un mouvement dynamique dans ce qui aurait pu se noyer dans le macabre.