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Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 22.11.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Folio (Gallimard), Roman, Science-fiction

Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic, Folio SF, mai 2023, 368 pages, 9,20 €

Edition: Folio (Gallimard)

Derniers jours d’un monde oublié, Chris Vuklisevic (par Didier Smal)

 

Chris Vuklisevic a été l’heureuse élue d’un concours organisé pour célébrer les vingt ans de la Collection Folio SF, et Derniers jours d’un monde oublié est son premier roman publié. Malheureusement, le ramage ne vaut pas le plumage et l’on ressort de ces quelque trois cents pages déçu pour dire le moins. La raison en est très simple, de cette déception : Vuklisevic ne parvient pas à trancher parmi ses idées et l’univers narratif qu’elle a créé pèche par une incohérence perturbante pour dire le moins, sans parler d’un goût prononcé pour la cruauté voire le sordide à tout le moins désolant. Expliquons.

Durant trois cents années, l’île-royaume de Sheltel a été isolée du reste du monde, suite à un événement non décrit appelé la « Grande Nuit », et elle est soudain redécouverte, involontairement, par un navire pirate dont l’équipage assoiffé, quasi déshydraté, débarque en ces lieux où l’eau est sévèrement rationnée – ceci explique le titre.

Le problème est que Vuklisevic court trop de lièvres à la fois, entre une division territoriale entre deux peuplades mal exploitée (les enjeux politiques sont à peine effleurés), un système de croyances peu clair (le divin semble omniprésent, mais rien n’est développé), une gestion cruelle de la population par une « Main » omnipotente (elle peut donner la vie, c’est-à-dire décider d’un accouchement, ou la retirer par son « souffle de la mort », mais c’est à la famille concernée de décider – ce qu’elle fait sans rechigner, sans que nul n’y trouve à redire –, un roman serait ici à bâtir), de la magie ou du merveilleux (la frontière est floue, et le tout est le plus souvent mentionné sous forme d’accumulations un rien fantaisistes) à foison, au point qu’on a l’impression d’un scénario Marvel succombant sous l’excès de superpouvoirs et… la présence d’armes à feu. Outre le fait que Vuklisevic écrit quasi indifféremment « revolver » ou « pistolet » (Jean-Patrick Manchette l’aurait vilipendée pour cette seule erreur), on ne peut que s’étonner de la présence de semblables artefacts dans un univers narratif se voulant « fantasy » de manière forcenée, avec excès parfois. Non, décidément, Derniers jours d’un monde oublié n’est ni achevé (trop d’idées narratives qui auraient gagné à être élaguées au profit d’une poignée qui aurait pu s’épanouir), ni cohérent, et on a trop souvent l’impression d’un roman parsemé de chapeaux dont sortent des lapins pas même guillerets.

Car ce roman, sur le fond, n’est plaisant en rien, entendons par-là que le cruel côtoie le sordide, comme indiqué ci-dessus, sans jamais la moindre lueur d’espoir ou de joie. Et là aussi, Vuklisevic s’en donne à cœur joie, du sort répugnant réservé à une certaine Navu à la fin désolante du feutier Arthur (qui maîtrise l’art magique d’un « feu froid » mais se sert d’une arme à feu, donc…) en passant par les tatouages traumatisants sous les paupières de la capitaine des pirates Kreed ou une femme enceinte qui se prend un coup de bâton dans le ventre dans l’indifférence générale, rien n’est épargné au lecteur, qui en vient à se demander si l’autrice s’est amusée à écrire comme une adolescente accumulant le pire et riant de voir que personne ne l’arrête, ou si elle a choisi d’écrire un faux roman de fantasy destiné à se purger de tous ses pires cauchemars (il y a même une jeune femme qui a passé vingt ans de sa vie dans une cave sans nulle fenêtre, c’est dire). Dans les deux cas, non, on n’adhère pas à cette écriture du pire qui semble repousser les limites du détail horrible au-delà du dicible. Que les choses soient claires : ceci n’est pas avis de vierge effarouchée, on a lu bien pire, mais constat d’une certaine vanité, d’une certaine gratuité dans le laid, que rien se semble justifier qu’une certaine complaisance voire une complaisance certaine, dont on se passera volontiers.

Bref, si Vuklisevic est aux yeux de certains l’avenir de la SF française, voire « une grande voix de l’Imaginaire », on peut aussi considérer Derniers jours d’un monde oublié comme un premier jet post-adolescent qui aurait besoin d’un sérieux travail d’édition, prélude à une réécriture quasi complète concentrée sur les quelques bonnes idées d’un roman dispersé et plutôt affligeant dans son goût du moche.

 

Didier Smal

 

Chris Vuklisevic (1992) est une autrice française ; elle a publié deux autres romans depuis Derniers jours d’un monde oublié.

 

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A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.