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La Une CED

L’Arbre-Monde, Richard Powers (par Catherine Blanche)

Ecrit par Catherine Blanche , le Lundi, 02 Septembre 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

L’Arbre-Monde, Richard Powers, Cherche Midi, septembre 2018, trad. anglais (USA), Serge Chauvin, 550 pages, 22 €

 

Une symphonie à la gloire de l’arbre fondateur. Pour thème, la déforestation et ses méfaits : un sujet fait pour me plaire. J’attaque donc ce livre avec un a priori favorable. De belles heures en perspective.

Eh bien, non, à l’arrivée, je suis flouée.

Au tout début, il y a cependant de grands moments et des idées prometteuses comme celle du jeune châtaignier qui sera photographié chaque année au même endroit, à la même date et sur plusieurs générations, par la famille Hoel. Cet arbre qui deviendra « arbre sentinelle » […], phare unique d’une mer gonflée de grain ».

Alors, l’écriture est fluide et l’on rentre bien dans la première histoire de cette famille d’émigrés Norvégiens. On commence à s’y attacher et voilà qu’il faut s’en extraire pour un autre personnage, un autre contexte, et cela neuf fois de suite. Neuf personnages vont ainsi défiler, chacun associé à une essence d’arbre [1].

Pourquoi pas. Belle idée. Bien que j’aie eu l’impression chaque fois d’une cassure qui m’obligeait à repartir à zéro.

Départ volontaire suivi de Kadoc, Rémi De Vos (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 02 Septembre 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Départ volontaire suivi de Kadoc, Rémi De Vos, Actes Sud Papiers, mai 2019, 208 pages, 18 €

 

Le travail, la folie

Kadoc pour K.doc

Le genre de l’écriture théâtrale est un domaine plastique qui accueille, au moins depuis Shakespeare, une nomenclature variée de thèmes et de formes. Ici, avec cette commande faite de la Comédie Française à l’auteur dunkerquois, on pourrait ranger ce texte sous l’étiquette de la comédie, mais d’une comédie grinçante et implacable à la manière de cette folie douce qui déborde dans les Chaises de Ionesco là où les personnages sont censés exister, mais ne sont que des émanations de l’esprit morbide d’un couple de curieux marginaux. Ou encore, dans l’absurdité de l’imaginaire de Kōbō Abe qui, dans une de ses pièces met en scène une famille qui envahit le tranquille appartement d’un japonais moyen, et qui prend le pouvoir sur sa vie.

Nathalie Sarraute, Ann Jefferson (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Nathalie Sarraute, Ann Jefferson, Flammarion, coll. Grandes biographies, août 2019, trad. anglais (Royaume-Uni) Pierre-Emmanuel Dauzat, Aude de Saint-Loup, 487 pages, 26 €

 

« Je ne crois pas qu’on puisse écrire une biographie valable de qui que ce soit », affirme à diverses époques de sa vie Nathalie Sarraute.

Dans l’avant-propos de son livre, Ann Jefferson indique les raisons pour lesquelles elle a décidé, en parfaite connaissance de cause, de relever le défi. C’est une des personnes les mieux armées pour le faire : spécialiste de Nathalie Sarraute qu’elle a bien connue personnellement, elle a notamment collaboré à l’édition de ses Œuvres complètes en Pléiade en 1996. Pour cette biographie, elle a réuni une très abondante documentation lors de multiples entretiens avec les personnes qui ont côtoyé l’écrivaine, a voyagé sur ses traces en Russie, et a bénéficié d’archives familiales, correspondances, et photos inédites prêtées par la famille, dont certaines sont reproduites dans le livre.

Marcher jusqu’au soir, Lydie Salvayre (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans La Une CED, Les Livres, Les Chroniques

Marcher jusqu’au soir, Lydie Salvayre, Stock, avril 2019, 224 pages, 18 €

 

Lorsque son amie, Alina, propose à Lydie Salvayre de participer à l’aventure des éditions Stock, Ma nuit au musée, en passant une nuit au musée Picasso, elle lui oppose un refus catégorique, ou affirme avec assurance : « Non, je lui ai dit non merci, je n’aime pas les musées… ». Cependant, après bien des jours d’hésitation, elle succombe à la tentation et se laisse entraîner dans une épreuve hasardeuse qui va la conduire sur des « chemins braconniers » qu’elle n’a pas présagés et qui l’amènent jusqu’à ce palpitant récit qu’elle intitule, pour la plus grande surprise du lecteur, Marcher jusqu’au soir, paru en avril 2019, et qui constitue le troisième volume de cette collection insolite. Il faudra que le lecteur atteigne les dernières pages du livre pour découvrir la justification du choix de ce titre.

Durant cette nuit d’errance qui paraît interminable à l’auteur, elle tient un journal de bord qui lui permet d’accepter l’écoulement des heures et l’inconfort du lit de camp qu’on lui a fourni. Elle y note ses impressions, ses humeurs, ses colères qui vont jusqu’à l’exaspération même vis-à-vis de son compagnon qui tente à plusieurs reprises mais en vain de calmer ses émois. Et pourtant, elle ne se résout pas à quitter le lieu. Elle n’est pas femme à renoncer. Et le récit existe bel et bien. Elle s’entête à vouloir analyser ses réactions et nous les livre avec une grande sincérité.

Bou Hmara, faux sultan et vrai rebelle (par Mustapha Saha)

Ecrit par Mustapha Saha , le Vendredi, 30 Août 2019. , dans La Une CED, Les Chroniques

 

Le véritable nom de Rogui Bou Hmara, l’homme à l’ânesse, est Jilali ben Driss Zerhouni el Youssefi. Il vient au monde en 1860 ou 1865, selon les sources, sur le mont Zerhoun dans une famille pauvre des Ouled Abbou, fraction de la tribu des Ouled Youssef. La date de naissance des marocains, inscrite ou non dans les registres civils, est aléatoire jusqu’à l’indépendance. Driss Chraïbi raconte, dans ses récits autobiographiques, des anecdotes savoureuses à ce sujet. L’incertitude historique alimente le mythe, probabilise l’autofiction reconstructive. Bou Hmara appartient à une longue tradition où la mémoire collective refaçonne les insurgés en héros thaumaturgiques. L’hétéronyme Bou Hmara assure la fonction de l’énigme, habite les mémoires comme une empreinte hallucinatoire, hante les conversations comme un spectre fascinatoire. L’homme à l’ânesse est équivoque, notable et barbaresque, redoutable et canularesque. C’est finalement le compagnonnage de l’ânesse qui le fait entrer dans la légende comme Rossinante, la jument squelettique de Don Quichotte. Plusieurs interprétations circulent sur cette caractéristique burlesque, extravagante, clownesque. Bou Hmara serait un érudit qui ne se sépare jamais de sa bibliothèque qu’il transporte partout sur sa bourrique. Le contraste, dans ce cas, est frappant entre le savant et sa science profuse, et l’ânesse et son ignorance confuse. La symbolique se prolonge au-delà de cette opposition. L’âne n’est-il pas le qualificatif ironique du makhzen ?