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Les Livres

Neige silencieuse, neige secrète, Conrad Aiken (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, USA, Roman, Nouvelles

Neige silencieuse, neige secrète, éd. La Barque, avril 2017, trad. Joëlle Naïm, 47 pages, 12 € . Ecrivain(s): Conrad Aiken

S’il est besoin d’une preuve que peu s’en faut pour faire naître l’émotion magique de la littérature, cette petite novella se pose là. Conrad Aiken est poète. Ce qui n’empêche pas son œuvre romanesque d’occuper une place majeure dans les lettres américaines du XXème siècle. La Cause Littéraire avait déjà signalé et salué son magnifique « Le Grand Cercle », roman vertigineux et virtuose qui nous mène aux confins de l’imaginaire. Conrad Aiken fait partie de cette génération éblouissante d’écrivains américains qui firent des décennies 1920-1950 (à peu près) les plus fabuleuses de l’histoire littéraire américaine. Il vient se ranger auprès de Thomas Wolfe, William Faulkner, Robert Penn Warren, Willa Cather, Edith Wharton, excusez du peu !

L’enfant héros de cette nouvelle vit entre père et mère sous le toit familial, va à l’école avec ses petits camarades, aime bien sa maîtresse, mademoiselle Buell et les taches de rousseur dans le cou de sa voisine de devant, Deirdre. Un enfant ordinaire donc. Mais son activité principale est intérieure : tous les jours, il vit des jours de neige. Sans neige. Il sent la neige tomber pendant qu’il est dans son lit, il entend les pas assourdis par le manteau glacé du facteur qui passe le matin. Il VIT la neige, intensément et avec jubilation. La révélation, répétée tous les matins, qu’il ne neige pas vraiment, ne le dérange guère en fin de compte. SA neige tombe, bouillonne et le hante.

Palestine, Hubert Haddad (par Mona)

Ecrit par Mona , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Folio (Gallimard)

Palestine, Hubert Haddad, (prix Renaudot Poche 2009) . Ecrivain(s): Hubert Haddad Edition: Folio (Gallimard)

 

Au cours d’une embuscade en Cisjordanie, Cham, un soldat israélien gravement blessé, se fait recueillir par une famille de palestiniens pacifistes (« c’est seulement avec la paix que nous pourrons vaincre »). A son réveil, frappé d’amnésie, il prend l’identité du frère disparu de la palestinienne qui le soigne et devient un des leurs. D’abord caché dans la fosse d’un cimetière, jeté hors du temps sans repères, étranger au monde et à lui-même, il devient Nassim, terré chez des activistes palestiniens. Une faction plus violente l’envoie en mission suicide à Hébron muni d’un passeport israélien, le sien même qu’on lui avait un jour dérobé près du Tombeau des Patriarches…

Palestine c’est l’histoire d’une frontière floue, d’un dédoublement schizophrénique judéo-arabe, d’un état somnambulique entre l’être et le néant (« Tout s’estompe. Un brouillard monte. Personne n’existe. Il dort, il est peut-être mort… Peut-être n’est-il pas mort ? »). Lorsque les bulldozers rasent une maison palestinienne, le protagoniste pose la question dramatique du roman : « Comment habiter toute une nuit la maison démolie ? ». Frontière floue entre le psychique et le politique.

La lumière est à moi, et autres nouvelles, Gilles Paris (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Nouvelles, Gallimard

La lumière est à moi, et autres nouvelles, Gallimard coll. Haute enfance, octobre 2018, 208 pages, 19 € . Ecrivain(s): Gilles Paris Edition: Gallimard

 

La sensualité adolescente retrouvée. Deux garçons pour une fille. L’été comme un frisson.

Dans la langue, on renoue avec l’intime, cette « lumière est à moi », nous suggère le titre, celle du corps, du cœur, et de ce touché d’une cible si difficile à nommer quand elle vibre au loin à l’intérieur.

Du surplomb de l’enfance – au sens large, petite et adolescence –, Gilles Paris découvre des consciences fines.

La grâce de l’écriture fait le reste.

La longue nouvelle, Eytan, qui déroule ses errances et beautés relationnelles sur les îles Lipari, surtout, comme « Les enfants de chœur ».

Beaucoup de poésie, d’âpreté. Nombre de regards d’adolescents, de jeunes filles, légèrement en décalage, avec une perception aiguë des adultes qui virevoltent autour d’eux.

« Je me promets d’éclatantes revanches », Une lecture intime de Charlotte Delbo, Valentine Goby (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Jeudi, 20 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

« Je me promets d’éclatantes revanches », Une lecture intime de Charlotte Delbo, Valentine Goby, Babel-Actes Sud, mai 2019, 119 pages, 6,90 €

 

« La femme qui m’a révélé Charlotte Delbo… », c’est ainsi que débute ce livre. Cet incipit me ramène à ma propre découverte.

C’est en assistant à un montage poétique – théâtralisé et composé de textes écrits par des femmes déportées – que j’ai découvert Charlotte Delbo. Je connaissais l’une des deux comédiennes et allais bientôt découvrir la seconde : elle devait en effet devenir ma femme.

Mais foin des anecdotes, venons-en au livre.

Auschwitz-Birkenau ! Ce nom, seul, fait frémir. Peut-on d’ailleurs le prononcer ? Peut-être devrait-on en ôter les syllabes et qu’il soit, comme l’écrit Charlotte Delbo, « l’in-nommé », ou encore « un endroit d’avant la géographie » : « la plus grande gare du monde », celle où « on n’arrive pas ».

Dès lors, comment en parler – d’autant que, quand bien même on se rendrait sur place, « on reste toujours au seuil » ?

Musique d’un puits bleu, Torborg Nedreaas (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Mercredi, 19 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Cambourakis

Musique d’un puits bleu, janvier 2019 trad. norvégien Régis Boyer, 415 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Torborg Nedreaas Edition: Cambourakis

 

Le roman s’ouvre sur l’image forte d’un « puits bleu » qui n’est pas bleu mais « noir, ou gris argent, ou vert bouteille, ou brun tourbe », et les vingt-huit chapitres qui suivent sont les vingt-huit mouvements d’une œuvre composée comme une partition musicale où les sons répondent aux couleurs.

Il y avait de la musique au fond de ce puits. Une fois, elle le dit à Esther et à Judith, mais elle eut le visage brûlant aussitôt. C’était trop difficile de dire ce qu’était cette musique-là. Et c’était pareil pour quantité de choses… Il était difficile d’en parler. Quand on se mettait à en parler, cela donnait un mensonge. Alors, on disait : Herdis ment (chapitre 1).

« Difficile de dire » la musique des choses. Avec la petite Norvégienne Herdis aux longues nattes rousses, le lecteur est transporté entre 1914 et 1917 dans la ville de Bergen, ou au bord d’une mer qui « pianotait entre les pierres », parsemée d’îlots appartenant au Roi des Trolls. Mais dès le troisième chapitre retentissent les mots « C’est la guerre ».