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Les Livres

Le peintre abandonné, Dominique Fernandez (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx , le Lundi, 13 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Grasset

Le peintre abandonné, février 2019, 256 pages, 19 € . Ecrivain(s): Dominique Fernandez Edition: Grasset

 

Centième livre de l’académicien français depuis ses débuts littéraires en 1958, ce roman tout entier axé sur le peintre Picasso s’ajoute à une nombreuse liste de récits, d’essais, d’études et de romans. Spécialiste de la littérature italienne qu’il a moult fois traduite (Pavese, Pasolini, Penna, etc.), du baroque, de la Sicile (qu’il considère comme la part la plus authentique de l’Italie), Dominique Fernandez, en ce vingt-cinquième roman, s’insinue dans la vie intime du grand peintre né à Malaga et qui, après dix années de bonheur sans ombre, se voit quitté par Françoise Gilot, jeune peintre, mère de deux enfants. Le peintre, macho dans l’âme, qui déclarait « On ne quitte pas Picasso », se trouve là trahi, amoindri. Il n’est plus que l’ombre dérisoire de lui-même, et s’il trouve refuge auprès d’amis à Perpignan, il a bien du mal à trouver les moyens de faire l’impasse sur ce qui lui arrive. Il est là, entouré de son fils Paulo (autrefois appelé Pablo), fils d’Olga la Russe, de ses hôtes Paul et Aimée, de l’oncle Alphonse, inénarrable biographe du Cubiste, l’amie d’Aimée, Totote ; et l’abandonné, quand il ne fustige pas ses contemporains artistes (Matisse, Derain, ceux de Collioure), jette toute la peinture italienne à la casse, s’amuse à vitrioler les meilleures réputations, à inventer des histoires de l’art à chaque monument visité avec ses amis.

Enfin le royaume, François Cheng (par Patrick Devaux)

Ecrit par Patrick Devaux , le Lundi, 13 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Enfin le royaume, Quatrains, février 2019, 224 pages, 7,40 € . Ecrivain(s): François Cheng Edition: Gallimard

 

Les poèmes de François Cheng sont autant de raccourcis de temps où s’invitent la permanence et la continuité : « A l’apogée de l’été/ Retient ce qui a été : / Tous les fruits suspendus/ Toute la soif étanchée ».

Avec son éternelle soif de l’attente, quel que soit le moment et quelle que soit l’attente, le poète est à la fois dans l’expectative et l’émerveillement nourri d’optimisme incité par une source initiale coulant en filigrane : « Toi, tu entends le bruit des étoiles qui passent ».

C’est que ce poète de stature a besoin de cet écho multiplié pour se rendre à l’évidence de sa plénitude qu’il compte bien transmettre à autrui : « Tout d’ici t’est offert, offre, toi à ton tour ! ».

Si parfois le crépuscule « s’exténue », c’est pour mieux se rendre à l’évidence d’un matin tournant la page à l’appui de « l’habitable étincelle » puisque « Ici/ Nous avons tracé le trait/ Nous avons laissé vacant/ Afin qu’un jour advienne ».

Rien que l’amour, Poésies complètes, Lucien Becker (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 13 Mai 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Rien que l’amour, Poésies complètes, Lucien Becker, La Table ronde, mars 2019, 448 pages, 10,50 €

 

Nature de l’obsession, obsession de la nature

Devant l’œuvre complète d’un poète, bien souvent je suis l’évolution de la forme poétique – par exemple, dans le cas de Rilke où je voyais au fur et à mesure de ma lecture que le poète tendait vers son œuvre magistrale, arrivée à la toute fin de sa vie – pour en déduire le climax et le moment d’apothéose, quelque chose comme le moment sublime. Ici, tout est donné dès la première strophe. On y voit la densité et le chant de Becker et on entame ainsi une découverte très ordonnée, très corsetée. Et cette célérité à définir un cadre de quatre vers par strophe, d’aller de strophe en strophe jusqu’à la fin de l’ouvrage – lequel se conclut sur des poèmes posthumes ou inédits qui font état de textes non conformes au rythme des quatre vers par strophe –, est un exercice unique. Je comparerais cette monomanie à celle des sonates de Domenico Scarlatti, qui, comme on le sait, a écrit durant sa vie plus de cinq cents sonates, à l’exclusion presque totale d’autres formes musicales.

Le Récidiviste, Alain Fleischer (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 10 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Seuil

Le Récidiviste, janvier 2019, 352 pages, 21 € . Ecrivain(s): Alain Fleischer Edition: Seuil

 

« Avant d’avoir vu passer, dans une rue de la ville de Brno en Moravie, le jeune Léo que j’ai été il y a trente ans, j’aurais pu me dire en regardant une photo de moi à cette époque : cet être n’existe plus, il a disparu, il n’est nulle part, il est mort, sa matérialité physique s’est volatilisée, comme les cendres d’un corps après incinération, et pourtant je suis là, issu de lui, et relié à lui par le fil ininterrompu, invisible, d’une même existence, dans une suite continue de jours et de nuits, au point que, bien éloigné de cet individu-là, je suis encore lui ».

Le Récidiviste est l’éblouissant roman de cette vision, le roman des souvenirs qui se matérialisent sous l’œil du narrateur. Il se voit, se croise dans une rue, tel qu’il était, l’adolescent qu’il fut se reflète dans son regard, alors qu’il est en recherche d’un tueur récidiviste László Kovács. Son histoire pourrait devenir un roman. Comme un éclat, dans cette rue de Brno c’est le Temps retrouvé qui lui saute aux yeux, et sa quête, son enquête, sa recherche, vont être saisies par ce passé, cette présence saisissante, troublante, étourdissante, un passé qui s’invite au présent. Léo est là devant lui, Léo et ses seize ans que trouble la belle Mila, l’amour adolescente qui a embrasé sa vie. A son contact, il a affûté, comme on le dit d’un couteau, sa vie et ses passions.

Mauvais anges, Mènis Koumandarèas (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Vendredi, 10 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Bassin méditerranéen, Roman, Quidam Editeur

Mauvais anges, avril 2019, trad. grec Michel Volkovitch, 236 pages, 20 € . Ecrivain(s): Mènis Koumandarèas Edition: Quidam Editeur

Ce livre nous plonge dans l’Athènes de l’après-guerre dont l’auteur se fait le témoin, lui qui « avait entendu dans son enfance le bruit des bottes allemandes ».

Unité de temps (1945-1950) : « quelque chose de terrible s’était passé dans le monde alors que je jouais, enfant insouciant, dans le Parc ».

Unité de lieu : « le nombril de la ville » – la station Omònia, le cinéma Krònos en ruine « où se retrouvaient les soldats et où Matìna contemplait les photos de Gary Cooper », le théâtre de bois Olympia, la place Kyriakou et, bien sûr, l’immeuble où il vit, au-dessus du métro : « la nuit pendant que je dors un bruit part du sous-sol ».

Ça démarre doucement avec de simples phrases. Quelques clins d’œil humoristiques ici ou là : « mon premier film américain : Par la porte d’or, avec Olivia de Havilland […] et Charles Boyer, tout juste arrivé à Hollywood, qui va la voir à l’hôpital et dit avec un terrible accent français “I love you darling”. C’était à peu près ce qu’aurait pu dire Séraphin à Matìna devant le Krònos, dans un style un peu plus grec : “Tu me plais, ma poule !” ».