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Les Livres

Noces de cendres, Éliane Serdan (par Jean-François Mézil)

Ecrit par Jean-François Mézil , le Mardi, 04 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Noces de cendres, Éliane Serdan, Le Serpent à Plumes, 2006, 127 pages, 17,30 €

Après avoir lu (et aimé) trois livres d’Éliane Serdan (née à Beyrouth en 1946) – La Ville haute (Serge Safran), Le Rivage intérieur (Éditions du Rocher) et La Fresque (Serge Safran) –, l’envie m’est venue de lire Noces de cendres.

La justesse des phrases, leur teneur poétique, nous caressent dès le début : « j’avais l’air d’une petite fille bien vivante ».

Mais la caresse n’a qu’un temps. Les phrases vont devoir s’attaquer à plus rude. Elles le feront sans rien nous cacher – quoique avançant à pas feutrés. Délicates et pudiques, elles composeront, page à page, un bouquet de fleurs vénéneuses – mais après leur avoir ôté les épines pour éviter qu’elles ne nous piquent.

Les voilà donc à la recherche du venin qu’il faut extraire, avec le risque d’échouer. Comment fouir en effet le cerveau ? Comment en exhumer des images enterrées mille pieds sous terre ? Des images « enkystée[s] au fond de l’inconscient », au plus loin de l’enfance (quatre ans !) : « Autour de ces points mouvants, tout s’est effacé. Je n’ai pour leur donner un ancrage que des matériaux bien incertains ».

Je m’enneige, Benoît Sourty (par Cathy Garcia)

Ecrit par Cathy Garcia , le Lundi, 03 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Asphalte éditions

Je m’enneige, janvier 2019, 158 pages, 16 € . Ecrivain(s): Benoît Sourty Edition: Asphalte éditions

 

Elle est plutôt sombre la neige, dans ce court roman où le sort de trois des protagonistes principaux semble scellé dès le départ. Deux frères jumeaux, âgés de 25 ans, une mère en clinique. Autrefois brillante et belle infirmière, maintenant malade en état végétatif, absente.

« Une femme, mains serrées l’une contre l’autre, ânonne presque à voix basse et sans arrêt : “Varsovie Varsovie“ ».

C’est une maladie génétique et ses deux fils en ont hérité, ils finiront très probablement comme elle. L’un d’eux est le narrateur. Il vit encore avec son père alors que l’autre est parti à 20 ans. Chacun gère à sa façon cette dégénérescence programmée dans leur corps. Celui qui parle préfère ne pas y penser, oublie d’aller chez le neurologue pour faire des examens, porte des dreadlocks, fume des joints, beaucoup de joints, travaille un peu et quand il ne file pas un coup de main à son copain Marc qui vit de petits trafics, il prend la vie comme elle vient : entre potes à la terrasse du Grand Café, à boire des bières, puis chez l’un ou chez l’autre, parfois il couche avec une copine, parfois il passe des nuits dans la forêt et il va voir sa mère à la clinique.

Céline en Afrique, Pierre Giresse (par Augustin Talbourdel)

Ecrit par Augustin Talbourdel , le Lundi, 03 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Biographie

Céline en Afrique, Du Lérot Editeur, février 2019, 184 pages, 30 euros. . Ecrivain(s): Pierre Giresse

 

 

« Quand la vie de Céline sera bien connue, elle paraîtra aussi étonnante que son œuvre », dixit Dominique de Roux (Céline et ses classiques, Marc Hanrez). Pour bien connaître la vie de Céline, il suffirait de se pencher sur ses romans ou de se rendre sur les lieux où il est passé. Pierre Giresse a fait les deux. Ainsi s’est-il rendu au Cameroun, sur les pas de Céline qui, après ses quelques mois au front et un premier séjour londonien, a vécu à Bikobimbo – que l’auteur du Voyage au bout de la nuit orthographie « Bikomimbo », volontairement ou non – pour une période de neuf mois, entre 1916 et 1917. En Afrique naît la passion de Louis Destouches pour la médecine – « de voir des médecins, je trouvais ça épatant ». En Afrique naît aussi une plume. À Bikobimbo, Louis Destouches est non seulement « médecin sans diplôme », selon l’expression de P. Giresse, mais aussi écrivain sans roman.

Ovaine, La Saga, Tristan Felix (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 03 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Ovaine, La Saga, Tristan Felix, Tinbad, avril 2019, 228 pages, 23 €

 

Journal picaresque

Picaresque ? Oui, et au sens presque littéral, celui de l’autobiographie littéraire d’un héros haut en couleur. À la manière par exemple du Portrait des Meidosems de Michaux. Toujours est-il que cette épithète m’est apparue au milieu de la lecture du livre de Tristan Felix. Et son héros, ou plutôt son héroïne, Ovaine, est déjà en soi un personnage débridé. Son nom du reste incite à la fantaisie et au jeu de mots : Ovaine, Eau-Veine, Love-Haine, Au-Baine, Ovation, Ovin/ovaine, Ovulation, Vaine/dévaine… Et tout de suite, nous plongeons dans le trou étourdissant d’Alice, ou dans le tunnel du métro parisien où Zazie évolue. Et encore, dans une langue rabelaisienne, ou dans l’expression romanesque de chevalerie, que Don Quichotte illustre merveilleusement – en même temps qu’il la fait disparaître. Donc un combat hardi. Une lutte contre les bornes du langage, la limite des mots, et tout cela au bord de la folie sans fin et déchaînée d’une anadiplose, toujours sous le signe du rêve ou de l’humour, un monde fantastique, loufoque, profus. Il y a sans douter une logique aux 324 récits, répartis en neuf parties de 36 strophes qui racontent tout à la fois des événements uniques, mais toujours en fragments de petites histoires narrées dans une langue malaxée et folle, sorte de métaphore du récit humain et de son énigme.

Trois gouttes de sang, Sadeq Hedâyat (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Vendredi, 31 Mai 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Asie, Nouvelles, Zulma

Trois gouttes de sang, mai 2019, trad. persan Gilbert Lazard, Farrokh Gaffary, 192 pages, 8,95 € . Ecrivain(s): Sadeq Hedâyat Edition: Zulma

 

Sang et phosphore

Dès la première nouvelle, Sadeq Hedâyat puise au répertoire allégorique de son pays d’origine, l’Iran, à travers les jardins, la présence des animaux, la musique, la famille, les marginaux, tous étranges et entêtants. Dans un temps bouleversé, traumatisé, chaque récit recoupe un pan de l’histoire syncopée des vieux mondes islamisés, dans des espaces que hantent les morts. L’on y rencontre le chat à « la plainte déchirante », au « roucoulement amoureux », l’œil – sacré, celui du destin, l’œil porte-malheur, jusqu’à l’œil crevé de l’aveugle –, la référence parabolique aux fables, Kâlila wa Dimna, puis l’hommage au poème versifié et à la prose persans.

Ainsi, la nature morte recouverte de poussière, synonyme du passé, se remet à embaumer et à reverdir. La survivance olfactive d’« un parfum de violette » alimente la mélancolie nocturne et la folie, comme le prouve l’acharnement exalté de l’archéologue américain de la nouvelle Le trône d’Abou Nasr, taraudé par l’espoir de trouver la porte qui mène aux trésors enfouis du vieux Chiraz, tentant de déchiffrer des manuscrits complexes, et qui creuse sans ménagement l’entrée du caveau.