Kahawa, Donald Westlake (par Jean-Jacques Bretou)
Kahawa, Donald Westlake, Rivages Noir, juin 2019, trad. anglais (USA) Jean-Patrick Manchette, 640 pages, 10,70 €
Ecrivain(s): Donald Westlake Edition: Rivages/noir
L’action de ce roman se déroule en 1977 en Afrique orientale. Il s’agit de détourner un train et sa cargaison de café, principale exportation du pays, d’une valeur de 36 millions de dollars. Ce hold-up est fomenté par un proche, conseiller blanc, d’Idi Amin Dada, le capitaine baron Chase. Ce dernier est associé à des Indo-Pakistanais, anciens habitants et commerçants d’Ouganda chassés par le régime du président sanguinaire, et vivant au Kenya. L’opération sera menée entre autres par deux mercenaires américains, anciens « bérets verts », Lew Brady et Frank Lanigan ainsi qu’Ellen la compagne de Lew.
Cette histoire abracadabrante, qui consiste à faire disparaître au nez et à la barbe de l’armée du président d’Ouganda son train de café, est totalement inventée même si un certain nombre de personnage sont réels, tel l’archevêque Janani Luwum. Elle est néanmoins une formidable illustration de l’état d’esprit qui régnait à cette époque-là dans ce pays et de l’humour de Westlake.
L’Ouganda tout entier est à la merci de la folie de son président qui se considère comme le maître et le propriétaire incontesté de sa population et de ses terres. Chaque habitant, quelle que soit son ethnie, frémit à ses paroles et, résigné, plie sous ses coups. Il nomme aux postes-clés qui bon lui semble. Chaque grain de café récolté sur les caféiers de son pays lui appartient, il le vend et s’approprie l’argent de la transaction. Cependant la tension va grandissant avec les autres pays des lacs. La région est sous pression comme une cocotte-minute avec le Kenya, la Tanzanie, etc.
Ce livre a été écrit au tout début des années 1980 et il en porte les stigmates. Ainsi n’est-il pas étonnant de voir « en sauveurs » deux anciens « bérets verts » illustrant l’Amérique au secours des faibles et des opprimés. La présence d’une femme, Ellen la petite amie de Lew, bien que dotée d’un solide caractère pouvant laisser à penser que l’auteur porte un regard légèrement féministe sur son personnage, n’échappe pas à une vision plutôt machiste de la femme qui reste, malgré des réparties musclées, soumise à l’homme qu’elle a élu. Enfin, on notera au passage des scènes teintées d’un érotisme torride tel qu’on le concevait à l’époque.
Ce livre n’en est pas moins merveilleusement bien écrit (et particulièrement bien traduit par Jean-Patrick Manchette), et même si on n’y rencontre pas les deux héros récurrents de l’auteur, John Dortmunder et Parker, il reste un fameux Westlake pur jus, caféiné, à la saveur épicée africaine.
Jean-Jacques Bretou
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