L’homme qui ne voulait plus se lever, David Lodge (par Jean-François Mézil)
L’homme qui ne voulait plus se lever, David Lodge, Rivages Poche, avril 2019, trad. anglais Suzanne V. Mayoux, Martine Aubert, 155 pages, 7,50 €
Moi qui ne suis pas particulièrement anglophile et demeure étonné que Shakespeare n’ait pas eu le bon goût de naître français, je confesse que l’humour so british de David Lodge me ravit.
J’ai même pris, en tant qu’écrivain, un double plaisir à ce livre.
Car, après avoir lu les huit nouvelles de ce recueil (les deux dernières, plus récentes, ont été ajoutées), on découvre dans la postface quand et pourquoi elles ont été écrites. L’auteur nous révèle, entre autres, leur part autobiographique. Ce sont presque toujours des épisodes de sa vie ou une anecdote que des amis lui ont racontée qui ont servi de déclencheurs.
Ainsi en est-il de la nouvelle éponyme qui démarre le recueil. L’a-t-il écrite dans son lit ? Il ne le dit pas, mais confie qu’il était « déprimé » et qu’il aspirait « désespérément à retourner à l’oubli du sommeil ».
Lodge nous décrit aussi, dans cette postface, ses tâtonnements en vue de trouver la meilleure fin. Car la fin est essentielle à la nouvelle : « Tandis que le roman reproduit le caractère ouvert et multiple de la vie, le propos de la nouvelle est unique, et nous est pleinement révélé à la fin », nous confie-t-il dans sa préface. Et il ajoute : « il peut prendre la forme d’un rebondissement de l’intrigue, de la solution d’un mystère, ou d’un moment de prise de conscience et d’acuité accrue, ce que James Joyce, empruntant le langage de la religion, appelait une épiphanie ».
Mais une bonne fin ne fait pas tout. La dégustation de ces nouvelles tient d’abord et surtout à l’humour malicieux, décalé, parfois coquin et toujours subtil de David Lodge. Témoin ces trois passages de Sous un climat maussade (la nouvelle se situe dans les années 50, « avant l’avènement de la société permissive ») :
« Ça change tout, d’une certaine manière, d’être vraiment fiancés. Tu comprends, avant, je n’étais jamais tout à fait sûre qu’on ne faisait pas ça rien que pour le plaisir. Tandis que maintenant, je sais que c’est par amour ».
Ou, un peu plus loin :
« J’ai dit à Des : “Si tu voulais aller jusqu’au bout, je ne pourrais pas t’en empêcher”.
– Mince ! Et qu’est-ce qui s’est passé ?
– Eh bien, il a été très mignon. Il m’a répondu : “Je te laisse dix secondes pour réfléchir”, et il est allé s’asseoir sur l’autre lit.
– Et alors ?
– Le temps qu’il finisse de compter, je m’étais ressaisie.
– Tu n’as pas regretté de ne pas avoir compté plus vite ? ».
Ou encore :
« Je suppose que c’est différent pour un garçon.
– D’après Rob, c’est comme si on essayait de boucher avec le pouce un robinet grand ouvert ».
La subtilité de Lodge dans cette nouvelle n’est pas sans rappeler Marivaux : « Joanna et Sally auraient préféré tourner en dérision toute l’affaire. Elles ne se doutaient pas que Robin et Desmond s’étaient caché la vérité l’un à l’autre ».
On peut aussi songer à Brassens (allusion aux filles qui n’ont pas inventé la poudre) lorsqu’il écrit dans Pastorale : « Son cerveau était d’un vide effrayant. Il ne recelait absolument rien hormis quelques chansons à succès, des noms de stars du cinéma, les tendances de la mode et des anecdotes au sujet de ses professeurs ».
La femme, en l’occurrence Emma, sait aussi jouer les Lysistrata : « “Fais juste l’effort de t’en passer pendant un certain temps, mon chou, pour moi. Tu ne regretteras pas”. Elle lui adressa un regard qui laissait planer toutes sortes de hardiesses débridées s’il acceptait ».
Mais l’humour de Lodge ne se cantonne pas aux choses du sexe, comme quand il évoque la « poésie conceptuelle » qu’on n’a pas besoin de composer :
« On la trouve, c’est tout.
– Où ?
– N’importe où. Les prévisions météo, les petites annonces, les résultats de foot… Plus c’est ordinaire, mieux c’est. Je travaille sur un long poème narratif en ce moment qui est une transcription des instructions d’un GPS ».
Quant au « rebondissement de l’intrigue » dont Lodge parlait dans sa préface, on en trouve un fameux exemple dans Un mariage mémorable où, après une infidélité du fiancé, le choix d’un époux remplaçant finit par se réduire à un problème de casting – tout mâle faisant l’affaire, du moment qu’il est « disponible le dernier samedi de juin ».
Autre exemple de rebondissement, celui-ci dans L’hôtel des Paires et de l’Impair. L’auteur entre soudain de plain-pied dans sa nouvelle : tandis qu’il la rédige, « assis à une table à l’ombre d’un parasol » dans l’hôtel même où elle se déroule, un coup de vent puissant déferle et soulève « en un tourbillon les pages manuscrites ». Employés et clients courent alors pour les rattraper.
Félicitons-nous qu’ils y soient parvenus et que Rivages ait ainsi pu les réunir et publier.
Car, même si David Lodge confesse « une préférence pour le long récit », on ne regrettera pas, en savourant ce recueil, qu’il se soit fait « les dents sur l’exercice de la nouvelle ».
Jean-François Mézil
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