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Les Livres

Musique d’un puits bleu, Torborg Nedreaas (par Nathalie de Courson)

Ecrit par Nathalie de Courson , le Mercredi, 19 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Pays nordiques, Roman, Cambourakis

Musique d’un puits bleu, janvier 2019 trad. norvégien Régis Boyer, 415 pages, 13,50 € . Ecrivain(s): Torborg Nedreaas Edition: Cambourakis

 

Le roman s’ouvre sur l’image forte d’un « puits bleu » qui n’est pas bleu mais « noir, ou gris argent, ou vert bouteille, ou brun tourbe », et les vingt-huit chapitres qui suivent sont les vingt-huit mouvements d’une œuvre composée comme une partition musicale où les sons répondent aux couleurs.

Il y avait de la musique au fond de ce puits. Une fois, elle le dit à Esther et à Judith, mais elle eut le visage brûlant aussitôt. C’était trop difficile de dire ce qu’était cette musique-là. Et c’était pareil pour quantité de choses… Il était difficile d’en parler. Quand on se mettait à en parler, cela donnait un mensonge. Alors, on disait : Herdis ment (chapitre 1).

« Difficile de dire » la musique des choses. Avec la petite Norvégienne Herdis aux longues nattes rousses, le lecteur est transporté entre 1914 et 1917 dans la ville de Bergen, ou au bord d’une mer qui « pianotait entre les pierres », parsemée d’îlots appartenant au Roi des Trolls. Mais dès le troisième chapitre retentissent les mots « C’est la guerre ».

Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 19 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED, Poésie

Je te massacrerai mon cœur, Philippe Thireau, PhB éditions, mai 2019, 46 pages, 10 €

Composés de tankas et de haïkus, ce nouveau recueil de Philippe Thireau déroule, dans le soufre/le souffle discrètement assassin d’une renaissance biographique, sept jours de re-création/de jours ad-venus, insolites et déroutants. Terriblement curieux par la douce puissance redoutable que dégage le journal/roman de « la fille non advenue », l’héroïne de Je te massacrerai mon cœur. Fille n’étant pas advenue, cette dernière apparaît dès le « 1er jour au printemps », sur le seuil du livre, dans les frasques d’un garçonnet, « nu », d’être d’entrée dépossédé d’un amour déterminant : celui d’être désiré, celui d’être attendu

« un impossible ventre toi

advenu garçon pas fille

ainsi je fus nu

n.u. nu garçon pas fille

mais fille serai second »

Des vies possibles, Charif Majdalani (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh , le Mardi, 18 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, La Une Livres, Roman, Seuil

Des vies possibles, janvier 2019, 185 pages, 17 € . Ecrivain(s): Charif Majdalani Edition: Seuil

 

Rien n’est écrit d’avance, nous le savons ; mais le pensons-nous vraiment ? Le sens des vies ou des choses grandes ou petites, individuelles ou collectives est a posteriori ; et encore, c’est une interprétation – variable, changeante – de l’esprit humain. L’homme est désorienté ou même en proie à la peur s’il ne donne pas sens et cohérence à l’enchaînement aléatoire des « petits incidents, des hasards minuscules, des accidents insignifiants ». Ainsi médite Raphaël Arbensis vers la fin de sa vie alors qu’il met la dernière main à son introduction à l’Histoire universelle d’al-Hamadani.

« En regardant sa femme enceinte, Raphael sent l’immensité de son bonheur. Il remonte le fil de sa vie pour essayer de trouver le moment où la trajectoire vers ce bonheur a débuté, sans y parvenir : c’est sans doute sa maladie à son arrivée à Saïda qui lui a permis de se trouver un jour en présence de Mariam, mais il n’aurait pas été malade à Saïda s’il n’était pas venu en Arabie, et il ne serait pas venu en Arabie s’il n’avait pas connu Dupuy, avec qui il ne serait pas associé s’il n’avait été dans le désarroi après l’embuscade de Vicence, et peut-être alors que son bonheur n’aurait pas été concevable s’il n’avait perdu son bras… ».

Les Poètes du Nord, Paul Verlaine (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine , le Mardi, 18 Juin 2019. , dans Les Livres, Critiques, Essais, La Une Livres, Poésie, Gallimard

Les Poètes du Nord, avril 2019, 104 pages, 12 € . Ecrivain(s): Paul Verlaine Edition: Gallimard

 

Quand Verlaine tenait le rôle de conférencier

Que faire lorsque l’on veut défendre ce qu’on aime et que l’on est poète, dire l’ambition poétique, son enjeu majeur, son lien avec la vie ? On peut opter pour une préface, rédiger un manifeste, un Art Poétique, ou encore laisser la poésie se dire elle-même ? Il reste encore le truchement de la conférence. On en connaît quelques-unes de ces conférences qui ont marqué l’histoire ; par exemple celle donnée par Apollinaire en 1918, L’esprit nouveau et les poètes, ou encore Breton qui a multiplié les prises de paroles conférencières.

On nous apprend qu’il en fut de même pour Verlaine qui, vers la fin de sa vie, fit une tournée de conférences en Belgique, Hollande, Angleterre, et dans le Nord de la France qui lui était si cher au cœur. Il y était question du symbolisme, du Parnasse, des Poètes maudits, de sa propre œuvre… L’une d’elles restait inconnue, celle du 29 Mars 1894, prononcée à Paris au Café Le Procope. Verlaine l’avait intitulée Les Poètes du Nord. Redécouverte, elle vient d’être publiée par Gallimard avec une présentation très documentée de Patrice Locmant.

Révolution et mensonge, Alexandre Soljénitsyne (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 18 Juin 2019. , dans Les Livres, Les Chroniques, La Une CED

Révolution et mensonge, Alexandre Soljénitsyne, Fayard, octobre 2018, préface Georges Nivat, trad. russe José Johannet, Georges Philippenko, Nikita Struve, Georges Nivat, 186 pages, 20 €

 

Soljénitsyne possédait une double formation intellectuelle : d’un côté, les mathématiques et la physique ; de l’autre la philosophie et l’histoire. La littérature ne vint qu’ensuite, si l’on peut dire cela d’un Russe, peuple lettré entre tous.

Historien, Soljénitsyne eut le goût des sources, des mémoires, des chroniques, qu’il lut par centaines pour composer La Roue rouge. Un des premiers conseils que les professeurs d’histoire donnent à leurs étudiants est de fuir comme la peste le raisonnement contrefactuel (« que se serait-il passé si tel événement ne s’était pas produit ? »). Soljénitsyne, au contraire, s’y adonna avec délices. De même que l’historien, le scientifique recherche les causes des phénomènes observés, leurs influences mutuelles, leurs interactions. De même que le savant, le philosophe s’attache à l’aspect général des choses, derrière la foisonnante infinité des détails.