Trois cents rues et bâtiments publics parisiens portent encore des noms célébrant la légende coloniale (Didier Epsztajn, Guide du Paris colonial et des banlieues, Editions Syllepse, 2018). La toponymie s’accroche à la postérité comme une mémoire honteuse, mais toujours présente. Les dénominations exotiques rappellent subliminalement les possessions françaises, les conquêtes épiques des territoires barbares, les glorieuses expéditions civilisatrices. « Le langage du colon, quand il parle du colonisé, est un langage zoologique. On fait allusion aux mouvements de reptation du Jaune, aux émanations de la ville indigène, aux hordes, à la puanteur, aux pullulements, aux grouillements, aux gesticulations. Le colon, quand il veut bien décrire et trouver le mot juste, se réfère constamment au bestiaire » (Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, éditions François Maspero, 1961). Et pourtant, cette même histoire grouille de résistances, de révoltes, de luttes de libération. Quelques figures emblématiques sont, tardivement, immortalisées sur les plaques bleues, l’abolitionniste modéré Victor Schœlcher,le colonel Louis Delgrès, commandant de Basse-Terre, déserteur de l’armée pour combattre les troupes bonapartistes voulant rétablir l’esclavage, l’Emir Abd El Kader, Toussaint Louverture. « Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux / Et maintenant vas-tu parler ? / Et maintenant vas-tu te taire ? » (Kateb Yacine, La Gueule du loup, 17 Octobre 1961).