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Les Chroniques

Lettres 1672-1722, Élisabeth-Charlotte Duchesse d’Orléans (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Jeudi, 28 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Lettres 1672-1722, Élisabeth-Charlotte Duchesse d’Orléans (née Princesse Palatine), Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, janvier 2018, préface Pierre Gascar, édition établie et annotée Olivier Amiel, 736 pages, 12 €

« Il faut que vous ayez perdu tout souvenir de moi pour que vous ne me rangiez pas parmi des laides : je l’ai toujours été et le suis devenue davantage encore par suite de la petite vérole ; de plus ma taille est monstrueuse, je suis carrée comme un dé, la peau est d’un rouge mélangé de jaune, je commence à grisonner, j’ai les cheveux poivre et sel, le front et le pourtour des yeux sont ridés, le nez est de travers comme jadis, mais festonné par la petite vérole, de même que les joues ; je les ai pendantes, de grandes mâchoires, les dents délabrées ; la bouche aussi est un peu changée, car elle est devenue plus grande et les rides sont aux coins » (lettre du 22 août 1698, p.238-239). Il est rare qu’une femme pousse aussi loin la dépréciation de soi. Nous savons, certes, que celle qui écrivit ces lignes ne passait pas pour une beauté, mais à ce point… Elle avait en revanche de l’esprit, et du meilleur. Fille du prince-électeur palatin, Élisabeth-Charlotte avait été arrachée à son Allemagne natale lorsqu’elle se trouva fiancée – évidemment sans qu’on lui demandât son avis – au frère de Louis XIV, Philippe d’Orléans, dont l’homosexualité était notoire. Ce n’est pas le genre de prince charmant dont rêvent les jeunes filles, si laides soient-elles.

L’Océan est avare, Juan Arabia (par Marc Wetzel)

Ecrit par Marc Wetzel , le Mercredi, 27 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

L’Océan est avare, Juan Arabia, éditions Al Manar, coll. Voix Vives, juillet 2018, trad. espagnol (Argentine) Jean Portante, Edition bilingue, 64 pages, 12 €

Une question (à la fois très concrète et très spéculative) parcourt ce recueil : sous la surveillance réglementaire de la raison, comment accueillir notre propre « délogement » (constant, et exporté jusqu’au-delà du système solaire) socio-industriel de la nature ? Que peut une parole restée humaine sous « les toits du monde » global ? Doit-elle hurler par oui ou par non ? Et la réponse précise est, semble-t-il, page 53 :

« Ah non ! On nous urine dessus et compte nos pas.

Nous qui sommes nés avec le soleil,

et lançons le croassement sauvage

sur les toits du monde.

Agenouillés, dans une flaque noire et froide,

ancrant notre destin,

ancrant nos bouteilles.

Les chercheurs de lumière, Révolutions minuscules, Séverine Jouve (par Pierrette Epsztein)

Ecrit par Pierrette Epsztein , le Mercredi, 27 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, L'Harmattan

Les chercheurs de lumière, Révolutions minuscules, Séverine Jouve, L’Harmattan Coll. Amarante, janvier 2018, 154 pages, 16 €

 

« À certains moments de l’existence surgissent des crises. Elles dévoilent brutalement le caractère illusoire de ce que l’on avait pu croire, jusqu’alors, fondamental ».

Trois personnages inscrits dans trois champs artistiques différents, l’écriture pour Marie, la peinture pour Suzanne et la musique pour Alexandre, se croisent, se frôlent, sans s’accoster. Pourtant ces rencontres ne doivent rien au hasard, chacune d’elles charrie dans ses bagages d’autres contacts qui tous obéissent à une nécessité. Lucien Montaldo, le poète-pédagogue, l’ami discret, servira d’intermédiaire et de conseiller bienveillant, capable d’écoute et d’accueil.

Séverine Jouve, dans un roman flamboyant, Les chercheurs de lumière, nous fait entendre leur voix et nous permet de les suivre lors d’un épisode charnière de leur existence. Trois lieux, une terrasse, un pavillon, une clairière, vont jouer un rôle capital dans chacune de ces trois trajectoires. Ces lieux servent à structurer l’ouvrage en trois parties qui en fait n’en font qu’une.

La Styx Croisières Cie (II) Février 2019 (par Michel Host)

Ecrit par Michel Host , le Lundi, 25 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Chroniques régulières, La Une CED

« Père Ubu : Eh bien, capitaine, avez-vous bien dîné ?

Capitaine Bordure : Fort bien, monsieur, sauf la merdre.

Père Ubu : Eh ! La merdre n’était pas mauvaise.

Mère Ubu : Chacun son goût.

Père Ubu : Capitaine Bordure, je suis disposé à vous faire duc de Lituanie.

Capitaine Bordure : Comment, je vous croyais fort gueux, Père Ubu.

Père Ubu : Dans quelques jours, si vous voulez, je règne en Pologne.

Capitaine Bordure : Vous allez tuer Venceslas ? »

Père Ubu : Il n’est pas bête, ce bougre, il a deviné »

 

Alfred Jarry, Ubu Roi, Acte I, Sc. IV

Jules de Montalenvers de Phrysac : noté dans le Livre de mes Mémoires

Le Nouveau, Philippe Sollers (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché , le Vendredi, 22 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Gallimard

Le Nouveau, Philippe Sollers, Gallimard, mars 2019, 144 pages, 14 €

 

« Pour les séances en mer, Le Nouveau, petit format, traînant derrière lui sa barque, fera l’affaire. Ancrage à 100 mètres, on part très tôt le matin avec la marée, rentrée le soir avec le retour de l’eau. Louis a prolongé cette tradition, qui se retrouve avec moi dans l’encre bleue, le matin et en fin d’après-midi, face au large. Les mouettes commencent leur ballet fou, elles crient dans le ciel d’orage. Je pense à Edna, ma belle Irlandaise. Sa photo est là, sur la cheminée. Elle à l’air gaie ».

Pas surprenant lorsque l’on habite une île, et que l’on est Bordelais, d’avoir des passions marines, pas surprenant lorsque l’on est écrivain, et grand lecteur de Conrad, de souvent prendre le large, à Venise, faisant sienne la devise de Joyce : « Le silence, l’exil, la ruse ». La maison de l’Ile de Ré s’invite souvent sur la pointe des pieds dans les romans de Philippe Sollers. Silencieuse, habitée de silence et de mémoire, elle ne fait pas de vagues, elle est là, comme une boussole, un pôle, qui abrite « L’Isolé absolu » (1). Dans ce film pour la télévision, l’écrivain montre de la main gauche des pages de son cahier, écrites à l’encre bleue :