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Les Chroniques

La poésie de Werner Lambersy (par Murielle Compère-Demarcy)

Ecrit par MCDEM (Murielle Compère-Demarcy) , le Mercredi, 20 Mars 2019. , dans Les Chroniques, La Une CED

 

La poésie de Werner Lambersy est chant épique. Résistance et tentative de sauvegarder le « chant perdu ». Comment continuer de recharger la force de frappe poétique des mots ? Le chant augural, fondateur, ouvrait des perspectives de lignes hautes où l’horizon s’offrait dans le champ infini des possibles. Mais à présent que « l’épopée est morte » et que « nous ne sommes plus à la hauteur » de nous hisser à la grandeur terrible et splendide de dieux et de défis qui nous transcendaient, où allons-nous puiser « la dimension d’âme nécessaire » à la réalisation des exploits (littéralement « hauts faits ») qui devraient pour la motiver animer nos existences d’errants voyageurs en quête d’un Graal authentique, audacieux, courageux, opiniâtrement recherché ? La poésie de Werner Lambersy, vaste chant épique déroulé en une bibliothèque vivante, nous console en nous apportant la preuve par les mots que l’épopée, si elle se meurt, n’est pas tout à fait morte. Comme Ulysse revint vers Ithaque recommencer l’ambitieuse volonté des départs, le poète déroule et reformule incessamment la lumière du Verbe pour coudre, de sa tisserande parole poétique, le métier de vivre ; d’écrire ; d’exister. Écrire l’acmé de l’écume depuis les Lignes de fond, leurs lames, jusqu’aux crêtes du vertige et des ressacs renouvelés dans chaque retour, tel est le défi incessamment porté par le poète. Mais encore faut-il, pour que le retour en éternel recommencement s’exécute, que l’aller veuille s’amorcer, que les Hommes désirent retrouver l’élan des quêtes audacieuses et ambitieuses, humanistes.

Martin Heidegger La vérité sur ses Cahiers noirs, Friedrich-Wilhelm von Herrmann, Francesco Alfieri (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Mardi, 19 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED, Gallimard

Martin Heidegger La vérité sur ses Cahiers noirs, Friedrich-Wilhelm von Herrmann, Francesco Alfieri, Gallimard, L’Infini, mars 2018, trad. italien et allemand Pascal David, 488 pages, 36,50 €

 

Martin Heidegger est mort voilà plus de quarante ans et c’est peu dire que l’œuvre immense qu’il a laissée n’est pas d’un accès aisé. Il n’eut rien d’un philosophe facile dans le style de Michel Onfray ou de Luc Ferry. Pourtant, quatre décennies après sa disparition, ce penseur, génie pour les uns, magicien de la complication inutile pour les autres (on y reviendra) fait encore parler de lui, pas seulement dans les revues professionnelles de philosophie, mais dans les journaux : ainsi lorsque fut révélé le contenu de ses « cahiers noirs ».

L’expression même de « cahiers » ou de « carnets noirs » était de nature à susciter des fantasmes. Il s’agit simplement de carnets recouverts de toile noire, comme chacun peut s’en procurer dans le commerce, afin de noter ce qu’il juge bon de l’être. Heidegger y transcrivait jour après jour des réflexions qui, ensuite, prenaient ou non place dans ses cours, ses conférences ou ses essais. Rien que de très banal, sauf que par une sorte de synecdoque, la couleur noire des couvertures en est venue à désigner une partie du contenu.

Lettre à Louis Calaferte, Valérie Rossignol (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 18 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Lettre à Louis Calaferte, Valérie Rossignol, éditions Tarabuste, janvier 2019, 84 pages, 11 €

 

Relation à l’inconnu

Ce joli livre de chez Tarabuste, de la collection Brèves Rencontres, m’a permis de suivre un exercice d’admiration très bien construit et m’a fait éprouver du plaisir. En effet, Valérie Rossignol se livre dans cet opuscule à une mise en relation/mise en scène de son rapport avec l’écrivain Louis Calaferte sous la forme de quatre lettres et de quelques citations des ouvrages de l’auteur – ce fils d’immigré italien, né à Turin. Il y a donc ici la rencontre d’une lectrice féministe et d’un auteur qui bat en brèche les doctrines de genre, et ainsi présente par un effet de miroir l’opinion de V. Rossignol qui, en tant que femme, verse dans une étude critique des lois machistes, et là-dedans de certaines pages rudes de Calaferte. J’ai dit exercice d’admiration, mais le vrai mot serait peut-être à trouver dans l’univers des thèses féministes qui viendrait chercher chez Calaferte les grands types de discours d’asservissement de la femme, et aussi et en même temps un parcours sensible d’une femme qui aime l’œuvre qu’elle lit.

Celui qui disait non, Adeline Baldacchino (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier , le Vendredi, 15 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Celui qui disait non, Adeline Baldacchino, Fayard, janvier 2018, 264 pages, 18 €

 

 

C’est à coup sûr une photographie qui mérite de prendre place parmi les dix clichés les plus fameux du XXe siècle. Elle est pourtant méconnue, bien que facilement accessible sur le réseau Internet (tapez « August Landmesser » dans votre moteur de recherches favori, en mode « images »).

Un des charmes (ou des défauts) de la photographie argentique, par rapport à son équivalent numérique, est que le résultat ne se laisse pas voir tout de suite. Il faut passer par une série compliquée (et en général automatisée) de manipulations physico-chimiques qui prend quelques jours ou, au mieux, quelques heures. Il arrive cependant que la révélation de certaines photographies soit durablement ajournée, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la chimie. Il en est allé ainsi du cliché qui a fourni au livre d’Adeline Baldacchino son point de départ.

Un peintre de notre temps, John Berger (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi , le Mercredi, 13 Mars 2019. , dans Les Chroniques, Les Livres, La Une CED

Un peintre de notre temps, John Berger, L’atelier contemporain, février 2019, trad. Fanchita Gonzalez Battle, 224 pages, 25 €

 

Peindre en exilé

Un peintre de notre temps, ayant fait l’objet d’une censure brutale, car il fut interdit de vente dès sa sortie en 1958, et de publication jusqu’en 1976, est le premier roman de John Berger (1926-2017). Le livre commence par la visite d’un atelier vide et la découverte du journal d’un ami peintre hongrois, Janos Lavin, dont la ville de refuge est Londres, « la capitale la plus conventionnelle et la plus fermée d’Europe ». Le journal forme un récit à deux voix, un chassé-croisé de deux points de vue, soit deux conversations juxtaposées, ce qui renforce la diégèse tels les sous-titres d’un film, sa traduction. Ainsi, et après-coup, John Berger décrypte les propos du peintre Janos Lavin (son double ?) à la manière d’un rébus. Or, le constat du peintre exilé est amer, affaibli par des projets qui ne marchent pas, réduit à la pauvreté, aux « humiliations de la dépendance ». Le métier d’écrire et le métier de peindre se répondent, et John Berger livre des pages fondamentales sur le dessin : « Dessiner, c’est savoir par la main – c’est avoir la preuve qu’exigeait Thomas. (…) Même devant un modèle, on dessine de mémoire. (…) Pas même de quoi que ce soit dont on puisse se souvenir consciemment. Le modèle est un rappel d’expériences qu’on ne peut formuler et donc se rappeler que par le dessin ».